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mardi 26 décembre 2017

NE DIS RIEN A PAPA - François-Xavier DILLARD

Ne dis rien à Papa de François-Xavier Dillard est un polar bien noir, où le lecteur est d’emblée plongé dans une scène d’ouverture pour le moins terrifiante, celle où un adolescent reprend conscience alors qu’il a été enterré vivant dans le jardin, après avoir reçu une balle dans la tête.

Au centre de l’histoire se trouve Fanny Hutchinson, la cinquantaine, fleuriste parisienne renommée, vivant paisiblement avec un mari artiste peintre. Elle est mère de famille de jumeaux d’une dizaine d’années, l’un est cruel et dépourvu d’empathie, ne cessant d’humilier son frère beaucoup plus sensible et renfermé. Fanny aussi est très sensible à toute forme de violence . Son comportement envers ses fils et son refus d’évoquer son passé à son mari nous laissent deviner qu’elle a dû vivre quelque chose de traumatisant .

En France, des médecins sont torturés et assassinés les uns après les autres . La police va alors mener l’enquête et tenter de trouver le lien entre eux. Cela les conduira à relier ces meurtres à un massacre, plus ancien, perpétré par une mère de famille.

L’auteur ne tergiverse pas avec des descriptions et des états d’âme qui n’ en finissent pas, mais va directement à l’essentiel . Des chapitres courts – 62 chapitres sur un peu plus de 300 pages – confèrent à l’histoire un rythme effréné, sans temps mort, et accaparent le lecteur qui ne prend pas le temps de souffler entre deux chapitres tant l’addiction est bien présente.
Les chapitres sont comme des pièces de puzzle . Seules elles ne dévoilent rien, mais regroupées par couleur elles dévoilent petit à petit l’énigme dont la solution n’apparaîtra que lors de l’assemblage final .

Quelques scènes violentes peuvent néanmoins heurter des personnes sensibles : mutilations, cruauté sur des animaux, enfants abattus ou pas franchement équilibré.


François-Xavier Dillard manie le suspense avec brio et dresse des portraits psychologiques marquants au sein d’un récit aux rebondissements extrêmes. Entre empathie et horreur, il nous mène à travers une tragédie implacable, dont on ne ressort pas indemne.


Né à Paris en 1971, François-Xavier Dillard a fait des études de droit et de gestion avant d'intégrer un grand groupe énergétique français au service des ressources humaines puis à la communication. Il est l'auteur de Un vrai jeu d'enfant et Fais-le pour maman, parus chez Fleuve noir. Après Austerlitz 10.5, co-écrit avec Anne-Laure Beatrix, Ne dis rien à papa est son deuxième roman à paraître chez Belfond.
(Source : http://www.belfond.fr/auteur/francois-xavier-dillard)


NE DIS RIEN A PAPA  -  François-Xavier DILLARD
BELFOND  -  15/06/2017

samedi 23 décembre 2017

LES NOUVEAUX VOISINS - Catherine McKENZIE

Les Nouveaux Voisins, le nouveau thriller psychologique de Catherine McKenzie a un concept plutôt original : il est basé sur une fiction autour d’une fiction. Non seulement, dans une sorte de métacognition littéraire, l’intrigue du roman actuel tourne autour de l’intrigue d’un roman que l’un des personnages a écrit, mais en plus, le roman fictif existe aussi dans la vie réelle.

Vous me suivez ? Je vais être plus clair . C’est l’histoire de Julie Prentice, avocate devenue auteur, qui s’enfuit dans la belle banlieue de Cincinnati après le succès phénoménal de son premier roman, The Murder Game, un thriller qui parle d’un groupe d’étudiants en droit qui planifient le crime parfait. En quittant Tacoma, Washington, Julie espère échapper aux retombées inattendues de son livre, et en particulier au harcèlement de Heather Stanhope qui voit dans ce thriller les aveux cachés de l’auteur sur son implication dans la mort tragique de son amie.
Catherine McKenzie est aussi en réalité l’auteur de The Murder Game, non traduit en français à ce jour, écrit sous le pseudonyme de Julie Apple, qui est aussi celui de Julie Prentice dans Les Nouveaux Voisins.

Au début, Julie adore Mount Adams, son nouveau quartier, avec ses hautes maisons étroites et colorées accrochées aux flancs escarpés des collines, ses terrasses offrant une vue splendide sur l’immense étendue de la rivière Ohio, et ses parcs sinueux qui permettent à Julie d’assouvir sa passion pour le jogging.
Après sa pénible expérience à Tacoma, Julie reste prudente et espère y trouver la quiétude nécessaire à l’inspiration pour écrire son deuxième roman. Mais c’est sans compter sur Cindy Sutton, la présidente et fondatrice de l’AQPS, l’Association de Quartier de Pine Street, le genre de femme au foyer qui a besoin d’agrémenter la monotonie de sa vie quotidienne en se valorisant et en voulant réglementer la vie des autres, dirigeant les opinions, les événements et la propreté avec toute la subtilité et la flexibilité d’une barre de fer.
Alors quand son voisin d’en face, John, un homme séduisant qui passe ses journées chez lui car actuellement sans emploi, propose de courir avec elle, Julie, au départ réticente, finit par accepter, et peu à peu, ils deviennent amis.
C’est le point de départ d’une série d’événements qui vont faire monter la tension dans le voisinage jusqu’à ce qu’une catastrophe fasse bouger les choses.

Bien que brillamment structuré, alternant les récits de Julie et de John sur une période de un an, depuis l’arrivée des Prentice dans le quartier jusqu’à la séance actuelle en chambre d’accusation,
j’ai fini par trouver ce livre ennuyeux. Rapidement on sait que quelque chose de dévastateur va se produire, sans nécessairement savoir qui est concerné, ni comment cela s’est passé, avant la fin du roman. Par contre, aucun twist marquant ne vient pimenter la lecture, qui doit donc se contenter d’un suspense à la Desperate Housewives.


Un conte captivant et bien raconté, mais avec une fin plutôt décevante paraissant inachevée et précipitée.


Catherine McKenzie est née et a grandi à Montréal. Diplômée de l’université et de l’école de droit de McGill, elle exerce le droit à Montréal où elle vit avec son mari, et écrit pour le Huffington Post. Ses précédents romans, SpinArrangedForgottenHidden et Smoke, sont tous des best-sellers internationaux. 

LES NOUVEAUX VOISINS  -  Catherine McKENZIE
Editions Michel LAFON  -  11 janvier 2018

dimanche 10 décembre 2017

RIEN NE SE PERD - Cloé MEHDI

 A onze ans, Mattia a déjà connu bien des désagréments dans la vie. Après la mort de son père, un schizophrène qui s’est finalement suicidé au sein de l’hôpital psychiatrique où il était hospitalisé, et l’abandon par sa mère qui baisse les bras et se reconnaît incapable de l’élever, il est placé sous la tutelle de Zé, un jeune homme plutôt marginal, qui vit avec sa compagne, Gabrielle, elle-même marquée par la vie au point de vouloir se suicider. Comme scénario il y a mieux pour avoir une jeunesse dorée.

Et de jeunesse dorée, on en est loin dans ce roman de Cloé Mehdi qui se passe dans un quartier déshérité d’une banlieue pourrie. L’auteur peint une fresque sociale qui colle très bien à une réalité facile à imaginer, tant elle nous fait penser à des événements qui se sont déjà produits dans le passé, voire des faits de violence quotidienne. Dans cette cité, un tag réapparaît, en mémoire de Saïd, tué par la police quinze ans plus tôt. Aujourd’hui encore, ses amis réclament justice.

"Je connais son visage pour l’avoir si souvent vu tagué sur les murs de ma ville, des Verrières aux belles rues de La Solaire, accompagné de mots qui ne suffisaient pas – ne suffisent jamais – à dire toute la colère, la haine et l’injustice de sa mort, des mots qui appelaient à la vengeance et à ne pas oublier ni pardonner."

Les personnages sont criant de vérité, à commencer par Mattia, ce gosse malmené par la vie, qui en connaît les vicissitudes depuis son plus jeune âge, un enfant avec un énorme manque d’amour, retranché derrière sa muraille protectrice et préférant le mutisme à l’échange social.

"Un jour ma mère m’a dit qu’il fallait s’attacher à personne parce que tout le monde finit par t’abandonner. C’est à ça que ça devrait servir, les parents, te préparer à la dégueulasserie du monde."

Zéphyr Palaisot, alias Zé, est son tuteur. Durant son adolescence, il fut le témoin d’un accident lourd de conséquences et s’enferma dans un carcan. La seule fois où il a voulu s’en extraire lui a valu plusieurs mois d’hôpital psychiatrique. Zé, c’est la révolte par les pages, par l’encre et par les mots, Ses héros sont écrivains : Lamartine, Baudelaire, Camus, … Zé, c’est le gars qui essaie juste de faire au mieux, pour lui, pour ceux qu’il aime, pour survivre.
Gabrielle est la compagne de Zé qu’il a rencontrée lors d’une tentative de suicide ratée. Gabrielle, psychologiquement instable, sujette aux idées suicidaires, semble vivre dans un désespoir effroyablement calme.
Gina, la sœur de Mattia, est comme lui une enfant du mutisme, rompue à l’art d’analyser les différents silences. Ses disparitions éperdues, permanentes sont une manière de fuir les difficultés. Elle reste le seul lien familial qui compte encore pour Mattia, lui apportant durant leurs trop courtes retrouvailles un peu de rêve et d’innocence, un peu de ce lien familial dont il a toujours manqué.

Et puis, il y a ces deux types, plutôt sales gueules, qui observent les allées et venues du gamin dès qu’il met le nez dehors. Alors puisque personne ne dit à Mattia ce qui se passe vraiment, eh bien il le découvrira tout seul. Car il a beau n’avoir que onze ans, sa psy est formelle : côté maturité, il vaut largement un adulte !

A 24 ans, Cloé Mehdi publie un sublime roman noir où il est question de luttes et d’inégalités sociales. Son style direct et son écriture parfaitement maîtrisée au service de personnages magnifiques justifient aussi les nombreux prix qui lui ont été attribués.

"C’est ainsi que les choses fonctionnent, Mattia. La justice aux juges. La violence aux flics. La santé aux médecins. Les fous aux asiles, et ne t’avise pas de t’attribuer une place qui n’est pas la tienne."

"L’erreur est humaine n’est-ce pas, elle l’est si tu es un flic, elle ne l’est pas si tu es un délinquant."

Un sublime roman noir qui ne laisse pas indifférent !


TROPHÉE 813 DU MEILLEUR ROMAN FRANCOPHONE 2017
PRIX MILLE ET UNE FEUILLES NOIRES 2017
PRIX BLUES & POLAR 2017
PRIX MYSTÈRE DE LA CRITIQUE 2017
PRIX ÉTUDIANT DU POLAR 2016
PRIX DORA SUAREZ 2017 

RIEN NE SE PERD  -  Cloé MEHDI
JIGAL POLAR  -  05/2016
POCHE  -  02/2017

jeudi 7 décembre 2017

NE FAIS CONFIANCE A PERSONNE - Paul CLEAVE

Son nom est Jerry Grey, il est auteur de romans policiers, et rien de tout ça n’est réel, rien de tout ça n’est réel. Sang sur les mains de Jerry.
Son nom est Henry Cutter, il est auteur de romans policiers, et rien de tout ça n’est réel, même lui n’est pas réel, il est le produit de l’imagination de Jerry Grey, qui se sert de lui pour gagner de l’argent, pour raconter des histoires. Du sang sur la chemise de Jerry.
Son nom est Jerry Henry, il souffre de démence et ceci est un rêve de démence, une crise de démence, et rien de tout ça n’est réel, il est dans une maison de santé et tout va bien. Mais ce n’est pas la maison de santé. Ce n’est pas sa maison. Rien ne va bien.
Son nom est Jerry Grey. Il est perdu. Il est confus. Tout ça semble peut-être réel, mais ça ne l’est pas. C’est le livre qu’il a écrit. Il est à l’intérieur des pages, et bientôt quelqu’un le sauvera.


Ne fais confiance à personne est l’histoire du romancier Jerry Gray qui a été diagnostiqué à l’âge de 49 ans avec la maladie d’Alzheimer. Sous le pseudonyme de Henry Cutter, Jerry a déjà écrit 12 livres, des thrillers mettant en scène des tueurs psychopathes et des actes sadiques de cruauté et de torture, et est apprécié par un grand nombre de lecteurs.

Le début du livre correspond à l’apparition des premiers symptômes de la maladie. Comme on pouvait s’y attendre, cela commence par des aberrations dans le comportement et le psychisme de Jerry. Il se met à confondre la réalité avec ses histoires et ses personnages, et est tantôt Jerry, le mari et le père, tantôt Henry Cutter, le romancier.

Placé dans une maison de santé, Jerry se met aussi à avouer certains meurtres, que le personnel soignant attribue à sa démence. Toutefois, la police s’interpose, suite à l’apparition de certaines similitudes entre les meurtres des livres de Jerry et les événements réels qui défrayent la chronique.

Hans, le meilleur ami de Jerry, est un personnage diabolique qui joue un rôle central dans l’histoire. Il semble à la fois encourager et aider Jerry à tenter de prouver son innocence, mais ses actes vont parfois à l’encontre de ses intentions.

La narration du livre est assez unique en ce sens que l’auteur le raconte du point de vue de Jerry et de son alter ego, Henry Cutter. Il se réfère à "futur Jerry" et "passé Jerry" selon qu’il écrit ou lit le journal de la maladie, un journal où sont notés les événements d’une journée, sensés les lui rappeler quand la mémoire lui fera défaut.

Au fur et à mesure de la progression de la maladie, Jerry est de plus en plus assailli par le doute. Est-il réellement l’auteur de ces crimes ou est-ce son imagination qui lui joue des tours ? Plus la police devient soupçonneuse, plus Jerry se sent pressé de prouver son innocence, dans une course désespérée, aidé de son ami Hans.

Na fais confiance à personne est non seulement un thriller, mais aussi un livre qui parle d’une maladie effrayante. La maladie d’Alzheimer ronge ce que vous êtes, vous tue lentement tout en vous laissant en vie. Ce livre parvient à nous faire ressentir ce qu’éprouvent mentalement les gens qui en sont atteint. Cela permet aussi au lecteur de se poser des questions, autant que le personnage principal, mais avec l’avantage que les événements passés restent mieux marqués dans notre esprit que dans le sien.

Le personnage de Jerry est complexe et intéressant, tantôt sujet à l’empathie quand il apparaît comme victime irresponsable de la maladie, tantôt méprisé.


Ne fais confiance à personne est un concept génial avec une écriture convaincante, une lecture passionnante avec de nombreux rebondissements et une fin sensée.


 

NE FAIS CONFIANCE A PERSONNE  -  Paul CLEAVE
SONATINE  -  31/08/2017

vendredi 1 décembre 2017

LA DISPARUE DE NOEL - Rachel ABBOTT

La Disparue de Noël est le quatrième livre de la série Tom Douglas, l’inspecteur de police et personnage récurrent. En reprenant l’ambiance et l’atmosphère des livres précédents, Rachel Abbott parvient à conserver l’originalité de son œuvre, tout en offrant aux lecteurs quelque chose de nouveau. Il n’est toutefois pas nécessaire d’avoir lu les tomes précédents de la série pour apprécier pleinement cette aventure pleine de rebondissements.

Lors de sa rencontre avec Emma, David était un homme détruit par le chagrin consécutif au décès de sa femme dans un accident de voiture, et à la disparition de sa fille de 6 ans , Natacha, sur les lieux mêmes de l’accident, comme si elle s’était volatilisée dans les airs. En l’aidant à surmonter cette situation, Emma lui a permis de tourner le dos au passé et d’envisager l’avenir, après six ans, d’autant qu’ils ont maintenant leur propre fils appelé Ollie.
Imaginez maintenant que vous êtes chez vous, préparant le repas tout en regardant par la fenêtre de la cuisine. Soudain vous avez une paire d’yeux derrière vous qui vous observent. C’est alors que tout change pour David et Emma.
La réapparition de Natacha bouleverse la quiétude du couple, gardant les stigmates de tout ce qu’elle a subi durant ces six dernières années, et accusant son père d’en être responsable.
Malgré les menaces proférées par Natacha, l’implication de la police va en plus aggraver les événements.

La Disparue de Noël est indéniablement à classer dans la liste des bons thrillers psychologiques dotés d’un rythme rapide, trépidant. Je prends plaisir à tourner les pages pour découvrir quel twist délicieux se présente sur la page suivante, et observer la réaction des personnages face aux nouvelles informations recueillies. Si la tension est maintenue à un niveau élevé, ce n’est pas au détriment de la construction des personnages, ni du rythme. Même les conversations tranquilles et remplies d’émotions vous laissent sentir que quelque chose ne va pas .
Les personnages de Rachel Abbott sont réalistes parce qu’ils réagissent comme des personnes réelles face à des situations extraordinaires. Le personnage de Natasha est pour moi le plus complexe car il suscite à la fois compassion et répugnance. Elle a dû faire face à des événements terribles dans sa vie et a été si malmenée. Pourtant elle débarque avec un objectif très clair, mais du fait qu’elle voit comment la vie pourrait être – ou aurait pu être – elle entre dans une situation conflictuelle, à tel point qu’on a du mal à imaginer son choix de vie en fin de roman.
Le livre soulève aussi la question de la confiance et des liens familiaux. Dans quelle mesure connaissons-nous vraiment ceux que nous aimons, et que ferions-nous réellement si ces personnes s’avéraient dangereuses ou se trouvaient face à des situations à risque ? Rachel Abbott aborde ces questions avec beaucoup d’érudition, laissant au lecteur un roman bien ficelé qui le pousse à réfléchir et à remettre sans cesse en question son jugement.

Absorbant, complexe, j’ai adoré ce livre !


Un suspense familial et hautement addictif.


Née près de Manchester, Rachel Abbott a longtemps occupé un poste d'infographiste, avant de se lancer à la poursuite d'un vieux rêve, rénover de vieilles demeures en Italie, où elle vit désormais une partie de l'année. La parution d'Illusions fatales (2014), son premier roman autopublié, classé numéro un des ventes Amazon en Angleterre, a marqué le début d'une formidable success story. Ont paru depuis Le Piège du silence (2015) et Une famille trop parfaite (2016). La Disparue de Noël est son quatrième roman à paraître chez Belfond.
Source : http://www.belfond.fr/auteur/rachel-abbott

LA DISPARUE DE NOEL  -  Rachel ABBOTT
Editions BELFOND  -  Collection LE CERCLE  -  02/11/2017

samedi 25 novembre 2017

CHACUN SA VÉRITÉ - Sara LOVESTAM

Avec son look branché et anti-conformiste, Sara Lovestam est une nouvelle auteure qui s’impose dans l’univers du polar nordique. Si l’intrigue n’a rien d’original, les personnages le sont beaucoup plus : des laissés pour compte et êtres tourmentés, à l’image des immigrés que l’auteur côtoie en leur enseignant le suédois.

Une fois de plus, il est question d’une disparition d’enfant. Pernilla, mère monoparentale suédoise, perd sa fille Julia, six ans, lors d’une virée au centre commercial. Le hic, c’est que Pernilla ne peut pas prévenir la police. Un privé fera donc l’affaire : Kouplan, un jeune iranien qui s’est autoproclamé détective. Le problème est que Kouplan vit en situation irrégulière depuis que sa demande d’asile a été rejetée, et puisqu’il faut bien trouver de quoi vivre, il passe une annonce proposant ses services d’ancien journaliste d’investigation. L’enquête dans laquelle il se lance va lui faire parcourir tout Stockholm, spécialement le Stockholm underground, où il va côtoyer la folie et les criminels, pour qui les clandestins sont des proies faciles. Entre le jeune homme traqué et la mère fragilisée se noue une relation de confiance, qui éclairera bien des zones obscures.



Sara Lovestam décrit le monde de l’immigration et des réfugiés en particulier d’une façon directe, réaliste et touchante. Kouplan, le personnage principal, est extrêmement attachant dans toute sa naïveté, sa sensibilité, son courage, sa gaucherie et son intelligence. Paranoïaque sur les bords, il se sent constamment surveillé. Au gré des chapitres, son histoire personnelle et familiale se dévoile : une mère psychologue, un père professeur, un frère disparu… On sent bien la peur, la faim, l’inconnu , et les déchirements entre la nostalgie et l’envie de repartir à zéro.
Pernilla, la mère, 40 ans, est bouleversée par la disparition de sa fille. Fuyante, elle porte en elle les blessures du passé.
Avec une intrigue manquant d’originalité et somme toute assez mince, ce n’est certainement pas le roman le plus haletant que j’ai pu lire dernièrement. Mais malgré ce suspense trop faible à mon goût, l’aspect attachant des personnages, le rythme soutenu et la facilité de lecture du roman ont contribué à retenir toute mon attention et maintenir mon plaisir de lecture jusqu’au bout.

Un polar qui n’en est pas vraiment un, avec un immigré comme détective privé ! Surprenant !
Prix du roman étranger 2017 dans le cadre du 69ème Grand Prix de Littérature Policière 2017.





Sara Lövestam est née en 1980 à Uppsala. Militante LGBT, chroniqueuse au magazine gai QX, Sara Lövestam a longtemps enseigné le suédois aux immigrés. Elle reçoit le prestigieux prix du Swedish Book Championship pour son premier roman, Différente (Actes Sud, 2013). Chacun sa vérité, son quatrième livre, a été récompensé par le prix de l’Académie suédoise des auteurs de polars 2015 à la grande surprise de l’auteure. « Je n’avais pas l’impression d’avoir écrit un polar », confiait-elle. Bonne nouvelle : on retrouvera l’irrésistible détective dans le deuxième volet de la tétralogie Kouplan annoncée.

CHACUN SA VÉRITÉ  -  Sara LOVESTAM
Editions Robert Laffont  -  Collection La BÊTE NOIRE  -  11/2016
Pocket  -  11/01/2018

#ChacunSaVérité #SaraLovestam #RobertLaffont #LaBêteNoire

lundi 13 novembre 2017

UN LOUP POUR L'HOMME - Brigitte GIRAUD

Antoine et Lila forment un jeune couple. Un heureux événement se prépare : Lila est enceinte. Mais celui-ci est suivi d’un autre qui l’est beaucoup moins : Antoine est appelé pour l’Algérie.
Dès le départ Antoine ne souhaite pas tenir une arme. Aussi est-il affecté comme infirmier dans l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès.
A travers ses yeux, on découvre cette drôle de guerre, le quotidien des soignants qui n’en sont pas moins des militaires et qui sont confrontés à des situations de danger et d’horreur, à des soldats blessés dont la vie et les projets d’avenir sont brisés mais qu’il faut soigner et aider psychologiquement. Antoine essaye par tous les moyens de trouver un sens à sa présence là-bas. Il fait de son mieux pour être attentionné lors des soins qu’il prodigue aux blessés.

"Antoine n’a entre les mains que des corps sains, jeunes et beaux, des forces vives arrêtées en pleine gloire, détournées, et c’est ce drame de la beauté meurtrie qui le saisit et commence à le ronger."

"Il dort, on ne peut pas dire tranquillement, mais sans doute pour oublier qu’il a sur les épaules beaucoup plus de choses qu’il ne peut en supporter. Et que la guerre à laquelle il va se livrer est comme l’histoire qui se défait, une colonie qui se délivre, une cause perdue d’avance, même si personne, au milieu de l’année 1960, n’accepte de voir les choses ainsi ."

"On ne devine pas la violence des affrontements. Seuls les soldats alités racontent l’histoire en train de s’accomplir, celle d’un peuple qui entre en collision avec un autre peuple, parfois peau contre peau. Et les membres broyés, les visages effarés, les souffles courts, sont l’unique preuve de la guerre invisible."

Dans cette galère Antoine est malgré tout un privilégié puisque Lila, enceinte de trois mois, décide de le rejoindre, ce qui lui permet d’avoir une vie de famille avec l’espoir d’une vie qui arrive. Le contraste est frappant entre sa vie de famille hors de l’hôpital militaire et son travail où il est confronté à la mort des patients qu’il soigne.

Et puis, il y a Oscar qui est ,à mon avis, le personnage le plus important après Antoine. Hospitalisé à l’hôpital militaire, il est amputé d’une jambe, muet, renfermé sur lui-même depuis cette nuit dans la forêt où il lui est arrivé quelque chose de terrible. Antoine passe beaucoup de temps à son chevet. Antoine tient grâce à lui. C’est sa raison d’être ici, le défi qui donne un sens au merdier dans lequel il se trouve.
Car cette guerre est aussi une sale guerre. Il est plus facile de taire, d’omettre, et finalement d’ignorer le plus difficile, le plus incompréhensible, le plus choquant, pour s’épargner soi-même, pour ne pas s’isoler un peu plus face à des gens qui ne veulent pas entendre.

Brigitte Giraud s’est inspirée de la vie de ses parents pour parler de cette guerre d’Algérie. Son père, c’est Antoine. Sa mère, Lila. Elle-même est née à Sidi-Bel-Abbès en 1960.
Son roman est un moyen de nous faire prendre conscience de l’atrocité d’une guerre, quels que soient les belligérants engagés. Le rôle de l’armée française et le comportement de certains appelés amènent réflexion. Qu’aurais-je fait ? Aurais-je tiré ? ….


Malgré quelques longueurs, la gravité du sujet et l’empathie envers les personnages principaux gardent le lecteur en haleine et rendent ce roman captivant jusqu’au bout.


UN LOUP POUR L'HOMME  -  Brigitte GIRAUD
FLAMMARION  -  23/08/2017

samedi 11 novembre 2017

J'AI TOUJOURS AIMÉ LA NUIT - Patrick CHAMOISEAU

Lors de sa dernière garde de nuit, à la veille de sa retraite, le commandant de police Eloi Ephraïm Evariste Pilon se retrouve en mauvaise posture, le pistolet d’un tueur braqué sur lui.
Et il va en être ainsi durant quasiment tout le roman car il s’agit d’un huis-clos, d’un face-à-face entre un policier et un tueur.

Le tueur, c’est Hypérion Victimaire, ex-militaire, élevé par une mère exemplaire, sa "manman", une "Grande personne", qui lui a appris la droiture, le respect, l’honneur et le tranchant de l’autorité.
Au travers de la confession de celui-ci, c’est la dérive de la Martinique que décrit Patrick Chamoiseau. La Martinique de son enfance perd de son identité et de son charme. Des quartiers autrefois imprégnés de bonnes manières font place à des zones populaires, à des regroupements d’HLM, habités par des colonies de Saint-Luciens, Haïtiens, Dominiquais, qui traficotent la drogue, vendent des armes, et commettent toutes sortes d’atrocités.
Le tueur nous parle de la lente germination d’une nécessité qu’il perçoit en lui.
"Tant de crimes, de coups, de sang, de monstres en liberté, tellement de trafics et de pertes humaines dans les boues du cannabis et de la cocaïne, tellement de violeurs de femmes et d’enfants, et toutes ces nuées de prédateurs qui décimaient notre jeunesse, qu’il me fut clair que quelque chose d’au-delà de moi allait venir. "
Influencé par la clairvoyance de son voisin, Hortensius Capilotas, qui fait commerce avec des démons invisibles pour s’efforcer de soulager les désespérés qui viennent quémander une solution à leur déveine, Hypérion se transforme petit à petit en psychopathe vengeur et ravageur, un archange chargé de purifier La Martinique.

"Je suis un massacreur, un égorgeur de chose, un défonceur de chair, un déchireur de peau, un briseur de vertèbres, un démanteleur de hanches, d’épaules et de cou, un écarteleur de poitrine, un dérouleur de boyaux, et parfois un très goulu buveur de sang ! J’ai mordu, battu, écrasé, coupé et abîmé presque toutes les formes d’existence qui en valaient la peine, c’est-à-dire qui méritaient le châtiment divin, la frappe claire de l’Archange."

Le policier, c’est Eloi Ephraïm Evariste Pilon, un homme valeureux et honnête, qui à force de se consacrer un peu trop à son métier n’a pas vu venir la dégringolade de sa vie familiale. Sa femme, devenue alcoolique, s’est suicidée et sa fille, Caroline, passe de foyer en foyer.
La veille de sa retraite, ce dont il a rêvé toute sa vie se tient devant lui : un assassin pas ordinaire, un psychopathe de grande ampleur qui, pour des raisons obscures, se livre sans retenue à lui.
Eloi Ephraïm Evariste Pilon se tait au maximum ne voulant rien troubler de ce paysage d’horreur que le monstre a entrepris de redessiner sur sa réalité et sur celle de son pays.
Au détour de la confession du tueur, le policier va entr’apercevoir l’existence de sa fille dont la route a croisé celle de ce dernier au cours d’une nuit, celle de ce vendredi 13, qui commença par une virée insensée, meurtrière et irréfléchie, et finit par un massacre vengeur et prémédité.

Les deux personnages, chacun à leur manière, au fil du récit de l’un et des pensées de l’autre, nous parlent de la Martinique d’aujourd’hui, sa langue, ses paysages, sa misère, ses beautés, sa cuisine et sa délinquance aussi…
A l’opposé l’un de l’autre, par des moyens et des méthodes différents, ils ont pourtant un but semblable, rétablir une humanité sur terre, une humanité qui n’a pas complètement disparu mais qui est en train de disparaître.

"Sans trop hausser le ton, je leur expliquai que l’inadmissible n’était pas admissible, que ce qui était arrivé là était de notre faute à tous, que la faute n’était pas quelque chose de visible, même de compréhensible, elle était faite de toutes sortes de petites démissions, de petites insignifiances, de petits accommodements, de négligences, de bêtises, et d’une perte de vue que dans la vie il fallait de la droiture, de la netteté, un rêve, un idéal, une hauteur et une intransigeance ! Je leur parlai aussi du tranchant de cette autorité qui depuis trop longtemps nous avait désertés, et qui devait retrouver sa haute place verticale dans tous nos horizons !"


Patrick Chamoiseau nous livre là un beau thriller, bien noir, avec un tueur psychopathe, des jeunes fous qui se croient plus forts que tout et un policier intègre qui enquête avec intelligence et patience tout en cherchant à retrouver sa fille...




J'AI TOUJOURS AIMÉ LA NUIT  -  Patrick CHAMOISEAU
SONATINE  -  09/11/2017

dimanche 5 novembre 2017

DANS SON OMBRE - Gerald SEYMOUR

Séduit par le livre de Gérald Seymour, En marche vers la mort, sorti en octobre 2017 chez Sonatine et sujet d’une précédente chronique, je décidai de me replonger dans l’univers de cet auteur avec cet autre livre, Dans son ombre. Il s’agit cette fois du premier livre de Gérald Seymour traduit en français. Publié en 2001 aux États-Unis sous le titre The Untouchable, et seulement en 2015 en France par les Éditions Sonatine.

Londres, début du 21e siècle. Albert William Packer, dit Mister, a la mainmise sur la capitale, vainqueur d’une guerre des gangs pour leurs territoires. Sous une apparence ordinaire, Packer est un salopard redoutable, le nec plus ultra. Secondé par Henry Arbuthnot, avocat à la cour et brillant dans la manipulation des lois, et Duncan Dubs, expert dans la manipulation de l’argent, il parvient même à sortir libre d’un procès, après défection du témoin clé et malgré tous les efforts entrepris depuis trois ans par la police criminelle, les services de renseignements, et le service des Douanes.
Joey Cann, vingt-sept ans, est le plus jeune membre du groupe SQG, Groupe Sierra Québec Golf, formé spécialement pour traquer et arrêter Albert William Packer. Il ne peut pas croire que trois ans d’efforts sont tout simplement anéantis, aussi décide-t-il de continuer la traque.
Duncan Dubs, homme de confiance et ami de Mister, est retrouvé mort à Sarajevo, alors qu’il y préparait un nouveau trafic dans le but d’accroître la fortune et la puissance de ce dernier.
Hors de son territoire et de ses habitudes, Packer est affaibli. C’est sur ce terrain, dans cette région des Balkans, scène de guerre entre Serbes et Croates de 1991 à 2001, que Joey Cann est envoyé en mission pour espionner Packer et récolter suffisamment de preuves pour l’envoyer définitivement en prison. Joey Cann fait de cette mission un défi personnel. Il a toujours été un looser, alors que Packer est un winner. Pour y arriver il va le traquer, rester dans son ombre jour et nuit.


« Quand on met la pression sur une pourriture, il commet des erreurs. Quand il fait des erreurs, il faut être là… »

J’ai pris autant de plaisir à lire cet autre ouvrage de Gerald Seymour que le précédent qui, lui, vient de sortir chez Sonatine.
Après avoir passé le cap de la présentation des personnages et du décor, qui peut s’avérer complexe par rapport à d’autres thrillers, à cause de la multitude de personnages, des changements de lieux et d’époques, je me suis laissé embarquer dans un voyage captivant au coeur des Balkans, dans un thriller plein de suspense.
Comparé au livre "En marche vers la mort", on retrouve le même schéma : une proie, un chasseur, une toile de fond, et un style narratif particulier. Dans ce livre-ci, la proie est un mafieux barbare qui inflige douleur et malheur, le chasseur un membre du service des Douanes qui n’a rien pour lui hormis des problèmes relationnels mais qui dégage une telle empathie qu’on a envie de le soutenir et l’aider à mener à bien sa mission. La toile de fond est cette guerre de l’ex-Yougoslavie, que l’auteur, ancien reporter ayant sillonné le globe durant des années, décrit très bien dans toute son horreur.

« Les deux camps faisaient pousser des plants de cannabis devant leurs positions avancées. Les seigneurs de guerre encourageaient ces plantations. Ils pensaient que des types défoncés ne réfléchiraient pas trop sur la guerre, et aussi qu’ils combattraient plus vaillamment pour ne pas devoir abandonner leurs cultures. Est-ce que vous vous imaginez comment c’était ici, l’hiver, si vous n’ étiez pas bourré ou complètement défoncé ? Les petits gars combattaient, défoncés, beurrés, et à moitié morts de froid, et les grands hommes s’engraissaient sur leurs dos et sur leurs cadavres. »

Le style narratif particulier de Gerald Seymour est plutôt déstabilisant. Sans aucun interligne l’auteur prend plaisir à nous transporter d’une situation à une autre, d’un personnage à un autre, au risque d’embrouiller le lecteur le temps de s’en apercevoir. La relecture s’avère parfois nécessaire sur quelques lignes, mais on finit vite par s’y habituer et se faire moins surprendre au fil des pages.
Les retours dans le passé, clairement indiqués, nous plongent dans l’horreur de la guerre, dans la vie de deux paysans dont les propriétés voisines vont être séparées par une ligne de front et qui devront en subir les conséquences contre leur volonté. Les scènes décrites, parfois dérangeantes, témoignent une fois de plus de l’absurdité d’une guerre. Quant au présent, il nous laisse imaginer à quel point l’internationale du crime a pu s’implanter dans une région durant une guerre qui a semé le chaos.

La psychologie des personnages, qu’ils soient dans le camp des bons ou celui des mauvais, est recherchée, nous offrant des personnalités complexes, attachantes ou méprisantes.
Albert William Packer, le mafieux anglais, bien que vil et méprisable, semble touchant quand il accompagne la représentante de Haut Commissariat aux Réfugiés pour la distribution des dons de l’opération de soutien "Bosnia with love",

 Le passé va finir par rattraper le présent dans un final mémorable, jubilatoire, tellement joli et tellement cruel, un final où les rôles de dominant et dominé vont s’inverser, et qui peut très bien susciter le débat. Quelle attitude aurions-nous adoptée ? Quelle décision aurions-nous prise ?

La traque d’un mafieux à la fin de la guerre des Balkans. Une épopée excitante et captivante, et un final mémorable !


DANS SON OMBRE  -  Gerald SEYMOUR
SONATINE  -  01/2015
LIVRE DE POCHE  -  02/2016

dimanche 22 octobre 2017

PAS UN MOT - Brad PARKS

Brad Parks, ancien reporter au Washington Post et au Star-Ledger (New Jersey), se consacre depuis 2008 entièrement à l’écriture. Il est le seul auteur à avoir reçu les prix Shamus, Nero et Lefty, trois des prix les plus prestigieux aux États-Unis couronnant des romans policiers.
Pas un mot est son dernier roman, et aussi le premier à être traduit en français et publié chez nous.

Pas un mot est un roman ambitieux, troublant et plein de suspense. Il dépeint une famille américaine face au pire cauchemar que doivent affronter des parents. Scott et Alison, et leurs jumeaux de 6 ans, Sam et Emma, vivent à Norfolk, en Virginie, où Scott est juge fédéral, tandis qu’Alison s’occupe d’enfants handicapés. Ils constituent une famille aussi heureuse qu’on puisse l’imaginer, habitant une belle propriété, entourée de bois, avec une terrasse offrant une vue sur un lac. Mais tout va changer !

En tant que juge fédéral, Scott s’occupe principalement de poursuites en matière de brevets. L’affaire qu’il est sur le point de traiter va décider de la propriété d’un nouveau médicament qui permettra d’éviter de nombreuses crises cardiaques et fera ainsi gagner des milliards de dollars à son détenteur. Un jour, après l’école, Sam et Emma sont kidnappés, et Scott reçoit un message anonyme : délivrez le verdict que nous voulons ou vous ne reverrez jamais vos enfants. « Pas un mot », prévient l’appelant. Couper les doigts fait partie de la menace.
Les parents horrifiés s’accordent à dire qu’ils ne doivent absolument pas alerter la police ou le FBI, à cause du risque que les ravisseurs le découvrent. Scott s’engage même à aller contre ses convictions en matière de justice, et faire tout ce qui est nécessaire pour sauver ses enfants.

L’auteur décrit habilement l’angoisse des parents, quand on ne sait rien et qu’on imagine le pire, quand on sait que toute l’attention et la vigilance dont on fait preuve à l’égard de ses enfants, ne sera certainement pas suivie par des inconnus. Rapidement plongés dans l’intrigue, l’auteur nous mène par le bout du nez et nous fait vivre un suspense qui va crescendo. Le doute s’installe rapidement, en particulier lorsque la surveillante de l’école affirme avoir vu Emma reprendre ses enfants ce jour-là. Dès lors, au fil des chapitres, l’auteur va prendre un malin plaisir à insuffler des détails qui vont faire osciller nos convictions. Scott et Alison eux-mêmes seront sujets à des accusations injustes et injurieuses de l’un envers l’autre, mettant à mal leur vie de couple déjà ébranlée par la situation. Bien que cruels et dangereux, les voyous qui détiennent les enfants ne sont clairement pas les cerveaux de l’opération. Alors qui l’est ?

Brad Parks parle avec beaucoup d’aisance des questions juridiques et des pressions politiques qui surviennent, d’autant que les décisions discutables prises par Scott, en tant que juge, risquent de provoquer sa propre mise en accusation, voire une récusation ou une révocation.
Mais la grande force du roman est le portrait sensible de l’amour et de la douleur des parents, la description des émotions qui les envahissent.

La lecture de ce roman est parfaitement addictive, le lecteur attendant anxieusement d’apprendre qui est derrière l’enlèvement et quel sort va s’abattre sur cette famille. Sans rien spoiler, on peut dire que les dernières pages sont excitantes, surprenantes et profondément émouvantes, à tel point qu’il n’est pas impossible de verser quelques larmes.


Une belle réussite !

Regarder ses enfants dormir est vraiment une joie pour un père. Et si je passai un moment à savourer sa sérénité, c’était dans le but d’en absorber un peu moi-même.
Je me rappelai comment, quand nous avions ramené les jumeaux de la maternité à la maison, les premiers jours, Alison et moi nous glissions dans leur chambre pour les regarder respirer. La paranoïa des jeunes parents : nous voulions être sûrs que tout allait bien. Mais je pense que c’était aussi en partie pour admirer le miracle insondable que nous avions créé.
 Puis vint ce que je savais être désormais la gamme complète de mon nouveau spectre émotionnel. Le désespoir, suivi d’un sentiment d’impuissance absolu, rapidement remplacé par la rage, puis le chagrin, puis la haine, puis l’angoisse, puis de nouveau la rage, puis …Je suis certain qu’il n’y a pas de mots pour décrire ce que ressent un père à qui l’on inflige le spectacle des sévices subis par son enfant sans pouvoir y mettre fin.



PAS UN MOT  -  Brad PARKS
Editions MAZARINE  -  11/10/2017 

dimanche 15 octobre 2017

EN MARCHE VERS LA MORT - Gérald SEYMOUR

Journaliste pour ITN pendant une quinzaine d’années, Gérald Seymour publia son premier livre Harry’s game en 1975 et devint écrivain à plein temps à partir de 1978. Depuis il a écrit plus d’une trentaine de livres.
Edité en 2007 sous le titre The walking dead, En marche vers la mort sort en français dix ans plus tard, mais reste d’une actualité brûlante. C’est seulement le second livre de l’auteur, repris par Sonatine Editions, après Dans son ombre paru en 2015.


Comme tous ceux qui étaient assis dans l'ombre dérisoire du mur, Ibrahim était un mort vivant. Plus tout à fait un jeune homme à qui ses deux premières années de médecine offraient un avenir et pas encore un martyr qui serait honoré et accueilli à la table de Dieu. Il connaissait les récompenses offertes aux chahids, car elles lui avaient été énumérées à la mosquée de Habala par l'imam qui avait été son protecteur et son recruteur, qui avait rendu possible le début de son voyage vers le paradis.


Au plus profond de lui, la peine pour son père l’emportait, ainsi que la volonté de lui apporter une fierté qui le soulagerait de sa terrible dépression. Il y avait aussi la vengeance, la volonté de frapper les forces du mal et de montrer au monde la détermination de la foi chez un jeune homme. Sa mère était morte parce que les maîtres du royaume privaient de ressources la province d’Asir. Ces gouvernements corrompus cohabitaient avec les kafirs, les mécréants. Son frère aîné était mort pour défendre un pays musulman envahi et violé par des impies. Son deuxième frère était mort des mains des pires des infidèles. Il croyait que sa propre mort, son martyre, libérerait son père de la mélancolie.


Ce roman de Gérald Seymour est non seulement une extraordinaire analyse psychologique de ce jeune homme, Ibrahim Hussein, tout au long de son cheminement vers l’acte final, mais aussi celle de nombreux intervenants qui vont être mêlés de près ou de loin à cet acte barbare dont l’actualité nous parle quasi quotidiennement.
Le style et le sujet en font un thriller haletant : une croisade au nom d’un Islam intégriste qui creuse la fracture entre bons et méchants, yankees et X-rays, ceux qui portent les bombes.
Mais Ibrahim n’est qu’un pion aux mains d’un duo qui peut déchaîner l’enfer, un planificateur qui recrute et organise, et un ingénieur qui assemble la bombe : un gilet, des câbles, de la dynamite et des clous.
L’auteur ne fait pas preuve de manichéisme en nous forçant à nous interroger sur les frontières entre le bien et le mal. David Banks, officier d’élite du contre-espionnage anglais, doute aussi de cela après avoir retrouvé et lu le carnet d’un de ses aïeuls, engagé volontaire au sein des Brigades internationales dans l’Espagne de 1937, et qui reconnaît la bravoure de l’ennemi.
La bravoure dont fait preuve le jeune Ibrahim est aussi remarquable, à tel point que le personnage suscite de l’empathie. Même s’il est responsable de ses actes, la vengeance qui le guide est tout à fait compréhensible. Son endoctrinement est tel qu’il ne voit pas qu’il est juste un pion aux mains de chefs qui se servent de cette chair humaine pour mener leur propre guerre.
A l’inverse, les deux hommes de main irlandais, chargés d’obtenir la moindre information de la bouche d’un activiste repenti, suscitent le dégoût . La cruauté dont ils font preuve peut-elle se justifier par le besoin de sécurité que nous attendons de nos dirigeants et des services chargés d’évaluer la menace et d’obtenir des renseignements ?
Dans la guerre que nous menons contre l’État Islamique, peut-on se permettre de suivre un code de bonne conduite, ou doit-on agir comme des barbares, être favorable à la torture, choisir entre le pire et le moindre mal ?

Terrorisme, bravoure, lâcheté. Une actualité brûlante traitée avec recul et humanité.


EN MARCHE VERS LA MORT  -  Gérald SEYMOUR
SONATINE  -  07/09/2017