Séduit
par le livre de Gérald Seymour, En marche vers la mort, sorti
en octobre 2017 chez Sonatine et sujet d’une précédente
chronique, je décidai de me replonger dans l’univers de cet auteur
avec cet autre livre, Dans son ombre. Il s’agit cette fois
du premier livre de Gérald Seymour traduit en français. Publié en
2001 aux États-Unis sous le titre The Untouchable, et seulement en
2015 en France par les Éditions Sonatine.
Londres,
début du 21e siècle. Albert William Packer, dit Mister,
a la mainmise sur la capitale, vainqueur d’une guerre des gangs
pour leurs territoires. Sous une apparence ordinaire, Packer est un
salopard redoutable, le nec plus ultra. Secondé par Henry Arbuthnot,
avocat à la cour et brillant dans la manipulation des lois, et
Duncan Dubs, expert dans la manipulation de l’argent, il parvient
même à sortir libre d’un procès, après défection du témoin
clé et malgré tous les efforts entrepris depuis trois ans par la
police criminelle, les services de renseignements, et le service des
Douanes.
Joey
Cann, vingt-sept ans, est le plus jeune membre du groupe SQG, Groupe
Sierra Québec Golf, formé spécialement pour traquer et arrêter
Albert William Packer. Il ne peut pas croire que trois ans d’efforts
sont tout simplement anéantis, aussi décide-t-il de continuer la
traque.
Duncan
Dubs, homme de confiance et ami de Mister, est retrouvé mort à
Sarajevo, alors qu’il y préparait un nouveau trafic dans le but
d’accroître la fortune et la puissance de ce dernier.
Hors
de son territoire et de ses habitudes, Packer est affaibli. C’est
sur ce terrain, dans cette région des Balkans, scène de guerre
entre Serbes et Croates de 1991 à 2001, que Joey Cann est envoyé en
mission pour espionner Packer et récolter suffisamment de preuves
pour l’envoyer définitivement en prison. Joey Cann fait de cette
mission un défi personnel. Il a toujours été un looser, alors que
Packer est un winner. Pour y arriver il va le traquer, rester dans
son ombre jour et nuit.
« Quand
on met la pression sur une pourriture, il commet des erreurs. Quand
il fait des erreurs, il faut être là… »
J’ai
pris autant de plaisir à lire cet autre ouvrage de Gerald Seymour
que le précédent qui, lui, vient de sortir chez Sonatine.
Après
avoir passé le cap de la présentation des personnages et du décor,
qui peut s’avérer complexe par rapport à d’autres thrillers, à
cause de la multitude de personnages, des changements de lieux et
d’époques, je me suis laissé embarquer dans un voyage captivant
au coeur des Balkans, dans un thriller plein de suspense.
Comparé
au livre "En
marche vers la mort",
on retrouve le même schéma : une proie, un chasseur, une toile
de fond, et un style narratif particulier. Dans ce livre-ci, la proie
est un mafieux barbare
qui inflige douleur et
malheur, le chasseur un
membre du service des Douanes qui n’a rien pour lui hormis des
problèmes relationnels mais qui dégage une telle empathie qu’on a
envie de le soutenir et l’aider à mener à bien sa mission. La
toile de fond est cette guerre de l’ex-Yougoslavie, que l’auteur,
ancien reporter ayant sillonné le globe durant des années, décrit
très bien dans toute son horreur.
« Les
deux camps faisaient pousser des plants de cannabis devant leurs
positions avancées. Les seigneurs de guerre encourageaient ces
plantations. Ils pensaient que des types défoncés ne réfléchiraient
pas trop sur la guerre, et aussi qu’ils combattraient plus
vaillamment pour ne pas devoir abandonner leurs cultures. Est-ce que
vous vous imaginez comment c’était ici, l’hiver, si vous n’
étiez pas bourré ou complètement défoncé ? Les petits gars
combattaient, défoncés, beurrés, et à moitié morts de froid, et
les grands hommes s’engraissaient sur leurs dos et sur leurs
cadavres. »
Le
style narratif particulier de Gerald Seymour est plutôt
déstabilisant. Sans aucun interligne l’auteur prend plaisir à
nous transporter d’une situation à une autre, d’un personnage à
un autre, au risque d’embrouiller le lecteur le temps de s’en
apercevoir. La relecture s’avère parfois nécessaire sur quelques
lignes, mais on finit vite par s’y habituer et se
faire moins surprendre au fil des pages.
Les
retours dans le passé, clairement indiqués, nous plongent dans
l’horreur de la guerre, dans la vie de deux paysans dont les
propriétés voisines vont être séparées par une ligne de front et
qui devront en subir les conséquences contre leur volonté. Les
scènes décrites, parfois dérangeantes, témoignent une fois de
plus de l’absurdité d’une guerre. Quant
au présent, il nous laisse imaginer à quel point l’internationale
du crime a pu s’implanter dans une région durant une guerre qui a
semé le chaos.
La
psychologie des personnages, qu’ils soient dans le camp des bons ou
celui des mauvais, est recherchée, nous offrant des personnalités
complexes, attachantes ou méprisantes.
Albert
William Packer, le mafieux anglais, bien que vil et méprisable,
semble touchant quand il accompagne la représentante de Haut
Commissariat aux Réfugiés pour la distribution des dons de
l’opération de soutien "Bosnia
with love",
Le
passé va finir par rattraper le présent dans un final mémorable,
jubilatoire, tellement joli et tellement cruel, un
final où les rôles de dominant et dominé vont s’inverser, et
qui peut très bien
susciter le débat.
Quelle attitude aurions-nous adoptée ? Quelle décision
aurions-nous prise ?
La
traque d’un mafieux à la fin de la guerre des Balkans. Une épopée
excitante et captivante, et un final mémorable !
DANS SON OMBRE - Gerald SEYMOUR
SONATINE - 01/2015
LIVRE DE POCHE - 02/2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire