Lors de sa dernière
garde de nuit, à la veille de sa retraite, le commandant de police
Eloi Ephraïm Evariste Pilon se retrouve en mauvaise posture, le
pistolet d’un tueur braqué sur lui.
Et il va en être
ainsi durant quasiment tout le roman car il s’agit d’un
huis-clos, d’un face-à-face entre un policier et un tueur.
Le tueur, c’est
Hypérion Victimaire, ex-militaire, élevé par une mère exemplaire,
sa "manman",
une "Grande
personne",
qui lui a appris la droiture, le respect, l’honneur et le tranchant
de l’autorité.
Au travers de la
confession de celui-ci, c’est la dérive de la Martinique que
décrit Patrick Chamoiseau. La Martinique de son enfance perd de son
identité et de son charme. Des quartiers autrefois imprégnés de
bonnes manières font place à des zones populaires, à des
regroupements d’HLM, habités par des colonies de Saint-Luciens,
Haïtiens, Dominiquais, qui traficotent la drogue, vendent des armes,
et commettent toutes sortes d’atrocités.
Le tueur nous parle
de la lente germination d’une nécessité qu’il perçoit en lui.
"Tant
de crimes, de coups, de sang, de monstres en liberté, tellement de
trafics et de pertes humaines dans les boues du cannabis et de la
cocaïne, tellement de violeurs de femmes et d’enfants, et toutes
ces nuées de prédateurs qui décimaient notre jeunesse, qu’il me
fut clair que quelque chose d’au-delà de moi allait venir. "
Influencé
par la clairvoyance de son voisin, Hortensius Capilotas, qui fait
commerce avec des démons invisibles pour s’efforcer de soulager
les désespérés qui viennent quémander une solution à leur
déveine, Hypérion se transforme petit à petit en psychopathe
vengeur et ravageur, un archange chargé de purifier La Martinique.
"Je
suis un massacreur, un égorgeur de chose, un défonceur de chair, un
déchireur de peau, un briseur de vertèbres, un démanteleur de
hanches, d’épaules et de cou, un écarteleur de poitrine, un
dérouleur de boyaux, et parfois un très goulu buveur de sang !
J’ai mordu, battu, écrasé, coupé et abîmé presque toutes les
formes d’existence qui en valaient la peine, c’est-à-dire qui
méritaient le châtiment divin, la frappe claire de l’Archange."
Le
policier, c’est Eloi Ephraïm Evariste Pilon, un homme valeureux et
honnête, qui à force de se consacrer un peu trop à son métier n’a
pas vu venir la dégringolade de sa vie familiale. Sa femme, devenue
alcoolique, s’est suicidée et sa fille, Caroline, passe de foyer
en foyer.
La
veille de sa retraite, ce dont il a rêvé toute sa vie se tient
devant lui : un assassin pas ordinaire, un psychopathe de grande
ampleur qui, pour des raisons obscures, se livre sans retenue à lui.
Eloi
Ephraïm Evariste Pilon se tait au maximum ne voulant rien troubler
de ce paysage d’horreur que le monstre a entrepris de
redessiner sur sa réalité et sur celle de son pays.
Au
détour de la confession du tueur, le policier va entr’apercevoir
l’existence de sa fille dont la route a croisé celle de ce dernier
au cours d’une nuit, celle de ce vendredi 13, qui commença par une
virée
insensée, meurtrière et
irréfléchie, et finit
par un massacre vengeur et
prémédité.
Les
deux personnages, chacun à leur manière, au fil du récit de l’un
et des pensées de l’autre, nous parlent de la Martinique
d’aujourd’hui, sa langue, ses paysages, sa misère, ses beautés,
sa cuisine et sa délinquance aussi…
A
l’opposé l’un de l’autre, par des moyens et des méthodes
différents, ils ont pourtant un but semblable, rétablir une
humanité sur terre, une humanité qui n’a pas complètement
disparu mais qui est en train de disparaître.
"Sans
trop hausser le ton, je leur expliquai que l’inadmissible n’était
pas admissible, que ce qui était arrivé là était de notre faute à
tous, que la faute n’était pas quelque chose de visible, même de
compréhensible, elle était faite de toutes sortes de petites
démissions, de petites insignifiances, de petits accommodements, de
négligences, de bêtises, et d’une perte de vue que dans la vie il
fallait de la droiture, de la netteté, un rêve, un idéal, une
hauteur et une intransigeance ! Je leur parlai aussi du
tranchant de cette autorité qui depuis trop longtemps nous avait
désertés, et qui devait retrouver sa haute place verticale dans
tous nos horizons !"
Patrick
Chamoiseau nous livre là un beau thriller, bien noir, avec un tueur
psychopathe, des jeunes fous qui se croient plus forts que tout et un
policier intègre qui enquête avec intelligence et patience tout en
cherchant à retrouver sa fille...
J'AI TOUJOURS AIMÉ LA NUIT - Patrick CHAMOISEAU
SONATINE - 09/11/2017
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