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samedi 25 novembre 2017

CHACUN SA VÉRITÉ - Sara LOVESTAM

Avec son look branché et anti-conformiste, Sara Lovestam est une nouvelle auteure qui s’impose dans l’univers du polar nordique. Si l’intrigue n’a rien d’original, les personnages le sont beaucoup plus : des laissés pour compte et êtres tourmentés, à l’image des immigrés que l’auteur côtoie en leur enseignant le suédois.

Une fois de plus, il est question d’une disparition d’enfant. Pernilla, mère monoparentale suédoise, perd sa fille Julia, six ans, lors d’une virée au centre commercial. Le hic, c’est que Pernilla ne peut pas prévenir la police. Un privé fera donc l’affaire : Kouplan, un jeune iranien qui s’est autoproclamé détective. Le problème est que Kouplan vit en situation irrégulière depuis que sa demande d’asile a été rejetée, et puisqu’il faut bien trouver de quoi vivre, il passe une annonce proposant ses services d’ancien journaliste d’investigation. L’enquête dans laquelle il se lance va lui faire parcourir tout Stockholm, spécialement le Stockholm underground, où il va côtoyer la folie et les criminels, pour qui les clandestins sont des proies faciles. Entre le jeune homme traqué et la mère fragilisée se noue une relation de confiance, qui éclairera bien des zones obscures.



Sara Lovestam décrit le monde de l’immigration et des réfugiés en particulier d’une façon directe, réaliste et touchante. Kouplan, le personnage principal, est extrêmement attachant dans toute sa naïveté, sa sensibilité, son courage, sa gaucherie et son intelligence. Paranoïaque sur les bords, il se sent constamment surveillé. Au gré des chapitres, son histoire personnelle et familiale se dévoile : une mère psychologue, un père professeur, un frère disparu… On sent bien la peur, la faim, l’inconnu , et les déchirements entre la nostalgie et l’envie de repartir à zéro.
Pernilla, la mère, 40 ans, est bouleversée par la disparition de sa fille. Fuyante, elle porte en elle les blessures du passé.
Avec une intrigue manquant d’originalité et somme toute assez mince, ce n’est certainement pas le roman le plus haletant que j’ai pu lire dernièrement. Mais malgré ce suspense trop faible à mon goût, l’aspect attachant des personnages, le rythme soutenu et la facilité de lecture du roman ont contribué à retenir toute mon attention et maintenir mon plaisir de lecture jusqu’au bout.

Un polar qui n’en est pas vraiment un, avec un immigré comme détective privé ! Surprenant !
Prix du roman étranger 2017 dans le cadre du 69ème Grand Prix de Littérature Policière 2017.





Sara Lövestam est née en 1980 à Uppsala. Militante LGBT, chroniqueuse au magazine gai QX, Sara Lövestam a longtemps enseigné le suédois aux immigrés. Elle reçoit le prestigieux prix du Swedish Book Championship pour son premier roman, Différente (Actes Sud, 2013). Chacun sa vérité, son quatrième livre, a été récompensé par le prix de l’Académie suédoise des auteurs de polars 2015 à la grande surprise de l’auteure. « Je n’avais pas l’impression d’avoir écrit un polar », confiait-elle. Bonne nouvelle : on retrouvera l’irrésistible détective dans le deuxième volet de la tétralogie Kouplan annoncée.

CHACUN SA VÉRITÉ  -  Sara LOVESTAM
Editions Robert Laffont  -  Collection La BÊTE NOIRE  -  11/2016
Pocket  -  11/01/2018

#ChacunSaVérité #SaraLovestam #RobertLaffont #LaBêteNoire

lundi 13 novembre 2017

UN LOUP POUR L'HOMME - Brigitte GIRAUD

Antoine et Lila forment un jeune couple. Un heureux événement se prépare : Lila est enceinte. Mais celui-ci est suivi d’un autre qui l’est beaucoup moins : Antoine est appelé pour l’Algérie.
Dès le départ Antoine ne souhaite pas tenir une arme. Aussi est-il affecté comme infirmier dans l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès.
A travers ses yeux, on découvre cette drôle de guerre, le quotidien des soignants qui n’en sont pas moins des militaires et qui sont confrontés à des situations de danger et d’horreur, à des soldats blessés dont la vie et les projets d’avenir sont brisés mais qu’il faut soigner et aider psychologiquement. Antoine essaye par tous les moyens de trouver un sens à sa présence là-bas. Il fait de son mieux pour être attentionné lors des soins qu’il prodigue aux blessés.

"Antoine n’a entre les mains que des corps sains, jeunes et beaux, des forces vives arrêtées en pleine gloire, détournées, et c’est ce drame de la beauté meurtrie qui le saisit et commence à le ronger."

"Il dort, on ne peut pas dire tranquillement, mais sans doute pour oublier qu’il a sur les épaules beaucoup plus de choses qu’il ne peut en supporter. Et que la guerre à laquelle il va se livrer est comme l’histoire qui se défait, une colonie qui se délivre, une cause perdue d’avance, même si personne, au milieu de l’année 1960, n’accepte de voir les choses ainsi ."

"On ne devine pas la violence des affrontements. Seuls les soldats alités racontent l’histoire en train de s’accomplir, celle d’un peuple qui entre en collision avec un autre peuple, parfois peau contre peau. Et les membres broyés, les visages effarés, les souffles courts, sont l’unique preuve de la guerre invisible."

Dans cette galère Antoine est malgré tout un privilégié puisque Lila, enceinte de trois mois, décide de le rejoindre, ce qui lui permet d’avoir une vie de famille avec l’espoir d’une vie qui arrive. Le contraste est frappant entre sa vie de famille hors de l’hôpital militaire et son travail où il est confronté à la mort des patients qu’il soigne.

Et puis, il y a Oscar qui est ,à mon avis, le personnage le plus important après Antoine. Hospitalisé à l’hôpital militaire, il est amputé d’une jambe, muet, renfermé sur lui-même depuis cette nuit dans la forêt où il lui est arrivé quelque chose de terrible. Antoine passe beaucoup de temps à son chevet. Antoine tient grâce à lui. C’est sa raison d’être ici, le défi qui donne un sens au merdier dans lequel il se trouve.
Car cette guerre est aussi une sale guerre. Il est plus facile de taire, d’omettre, et finalement d’ignorer le plus difficile, le plus incompréhensible, le plus choquant, pour s’épargner soi-même, pour ne pas s’isoler un peu plus face à des gens qui ne veulent pas entendre.

Brigitte Giraud s’est inspirée de la vie de ses parents pour parler de cette guerre d’Algérie. Son père, c’est Antoine. Sa mère, Lila. Elle-même est née à Sidi-Bel-Abbès en 1960.
Son roman est un moyen de nous faire prendre conscience de l’atrocité d’une guerre, quels que soient les belligérants engagés. Le rôle de l’armée française et le comportement de certains appelés amènent réflexion. Qu’aurais-je fait ? Aurais-je tiré ? ….


Malgré quelques longueurs, la gravité du sujet et l’empathie envers les personnages principaux gardent le lecteur en haleine et rendent ce roman captivant jusqu’au bout.


UN LOUP POUR L'HOMME  -  Brigitte GIRAUD
FLAMMARION  -  23/08/2017

samedi 11 novembre 2017

J'AI TOUJOURS AIMÉ LA NUIT - Patrick CHAMOISEAU

Lors de sa dernière garde de nuit, à la veille de sa retraite, le commandant de police Eloi Ephraïm Evariste Pilon se retrouve en mauvaise posture, le pistolet d’un tueur braqué sur lui.
Et il va en être ainsi durant quasiment tout le roman car il s’agit d’un huis-clos, d’un face-à-face entre un policier et un tueur.

Le tueur, c’est Hypérion Victimaire, ex-militaire, élevé par une mère exemplaire, sa "manman", une "Grande personne", qui lui a appris la droiture, le respect, l’honneur et le tranchant de l’autorité.
Au travers de la confession de celui-ci, c’est la dérive de la Martinique que décrit Patrick Chamoiseau. La Martinique de son enfance perd de son identité et de son charme. Des quartiers autrefois imprégnés de bonnes manières font place à des zones populaires, à des regroupements d’HLM, habités par des colonies de Saint-Luciens, Haïtiens, Dominiquais, qui traficotent la drogue, vendent des armes, et commettent toutes sortes d’atrocités.
Le tueur nous parle de la lente germination d’une nécessité qu’il perçoit en lui.
"Tant de crimes, de coups, de sang, de monstres en liberté, tellement de trafics et de pertes humaines dans les boues du cannabis et de la cocaïne, tellement de violeurs de femmes et d’enfants, et toutes ces nuées de prédateurs qui décimaient notre jeunesse, qu’il me fut clair que quelque chose d’au-delà de moi allait venir. "
Influencé par la clairvoyance de son voisin, Hortensius Capilotas, qui fait commerce avec des démons invisibles pour s’efforcer de soulager les désespérés qui viennent quémander une solution à leur déveine, Hypérion se transforme petit à petit en psychopathe vengeur et ravageur, un archange chargé de purifier La Martinique.

"Je suis un massacreur, un égorgeur de chose, un défonceur de chair, un déchireur de peau, un briseur de vertèbres, un démanteleur de hanches, d’épaules et de cou, un écarteleur de poitrine, un dérouleur de boyaux, et parfois un très goulu buveur de sang ! J’ai mordu, battu, écrasé, coupé et abîmé presque toutes les formes d’existence qui en valaient la peine, c’est-à-dire qui méritaient le châtiment divin, la frappe claire de l’Archange."

Le policier, c’est Eloi Ephraïm Evariste Pilon, un homme valeureux et honnête, qui à force de se consacrer un peu trop à son métier n’a pas vu venir la dégringolade de sa vie familiale. Sa femme, devenue alcoolique, s’est suicidée et sa fille, Caroline, passe de foyer en foyer.
La veille de sa retraite, ce dont il a rêvé toute sa vie se tient devant lui : un assassin pas ordinaire, un psychopathe de grande ampleur qui, pour des raisons obscures, se livre sans retenue à lui.
Eloi Ephraïm Evariste Pilon se tait au maximum ne voulant rien troubler de ce paysage d’horreur que le monstre a entrepris de redessiner sur sa réalité et sur celle de son pays.
Au détour de la confession du tueur, le policier va entr’apercevoir l’existence de sa fille dont la route a croisé celle de ce dernier au cours d’une nuit, celle de ce vendredi 13, qui commença par une virée insensée, meurtrière et irréfléchie, et finit par un massacre vengeur et prémédité.

Les deux personnages, chacun à leur manière, au fil du récit de l’un et des pensées de l’autre, nous parlent de la Martinique d’aujourd’hui, sa langue, ses paysages, sa misère, ses beautés, sa cuisine et sa délinquance aussi…
A l’opposé l’un de l’autre, par des moyens et des méthodes différents, ils ont pourtant un but semblable, rétablir une humanité sur terre, une humanité qui n’a pas complètement disparu mais qui est en train de disparaître.

"Sans trop hausser le ton, je leur expliquai que l’inadmissible n’était pas admissible, que ce qui était arrivé là était de notre faute à tous, que la faute n’était pas quelque chose de visible, même de compréhensible, elle était faite de toutes sortes de petites démissions, de petites insignifiances, de petits accommodements, de négligences, de bêtises, et d’une perte de vue que dans la vie il fallait de la droiture, de la netteté, un rêve, un idéal, une hauteur et une intransigeance ! Je leur parlai aussi du tranchant de cette autorité qui depuis trop longtemps nous avait désertés, et qui devait retrouver sa haute place verticale dans tous nos horizons !"


Patrick Chamoiseau nous livre là un beau thriller, bien noir, avec un tueur psychopathe, des jeunes fous qui se croient plus forts que tout et un policier intègre qui enquête avec intelligence et patience tout en cherchant à retrouver sa fille...




J'AI TOUJOURS AIMÉ LA NUIT  -  Patrick CHAMOISEAU
SONATINE  -  09/11/2017

dimanche 5 novembre 2017

DANS SON OMBRE - Gerald SEYMOUR

Séduit par le livre de Gérald Seymour, En marche vers la mort, sorti en octobre 2017 chez Sonatine et sujet d’une précédente chronique, je décidai de me replonger dans l’univers de cet auteur avec cet autre livre, Dans son ombre. Il s’agit cette fois du premier livre de Gérald Seymour traduit en français. Publié en 2001 aux États-Unis sous le titre The Untouchable, et seulement en 2015 en France par les Éditions Sonatine.

Londres, début du 21e siècle. Albert William Packer, dit Mister, a la mainmise sur la capitale, vainqueur d’une guerre des gangs pour leurs territoires. Sous une apparence ordinaire, Packer est un salopard redoutable, le nec plus ultra. Secondé par Henry Arbuthnot, avocat à la cour et brillant dans la manipulation des lois, et Duncan Dubs, expert dans la manipulation de l’argent, il parvient même à sortir libre d’un procès, après défection du témoin clé et malgré tous les efforts entrepris depuis trois ans par la police criminelle, les services de renseignements, et le service des Douanes.
Joey Cann, vingt-sept ans, est le plus jeune membre du groupe SQG, Groupe Sierra Québec Golf, formé spécialement pour traquer et arrêter Albert William Packer. Il ne peut pas croire que trois ans d’efforts sont tout simplement anéantis, aussi décide-t-il de continuer la traque.
Duncan Dubs, homme de confiance et ami de Mister, est retrouvé mort à Sarajevo, alors qu’il y préparait un nouveau trafic dans le but d’accroître la fortune et la puissance de ce dernier.
Hors de son territoire et de ses habitudes, Packer est affaibli. C’est sur ce terrain, dans cette région des Balkans, scène de guerre entre Serbes et Croates de 1991 à 2001, que Joey Cann est envoyé en mission pour espionner Packer et récolter suffisamment de preuves pour l’envoyer définitivement en prison. Joey Cann fait de cette mission un défi personnel. Il a toujours été un looser, alors que Packer est un winner. Pour y arriver il va le traquer, rester dans son ombre jour et nuit.


« Quand on met la pression sur une pourriture, il commet des erreurs. Quand il fait des erreurs, il faut être là… »

J’ai pris autant de plaisir à lire cet autre ouvrage de Gerald Seymour que le précédent qui, lui, vient de sortir chez Sonatine.
Après avoir passé le cap de la présentation des personnages et du décor, qui peut s’avérer complexe par rapport à d’autres thrillers, à cause de la multitude de personnages, des changements de lieux et d’époques, je me suis laissé embarquer dans un voyage captivant au coeur des Balkans, dans un thriller plein de suspense.
Comparé au livre "En marche vers la mort", on retrouve le même schéma : une proie, un chasseur, une toile de fond, et un style narratif particulier. Dans ce livre-ci, la proie est un mafieux barbare qui inflige douleur et malheur, le chasseur un membre du service des Douanes qui n’a rien pour lui hormis des problèmes relationnels mais qui dégage une telle empathie qu’on a envie de le soutenir et l’aider à mener à bien sa mission. La toile de fond est cette guerre de l’ex-Yougoslavie, que l’auteur, ancien reporter ayant sillonné le globe durant des années, décrit très bien dans toute son horreur.

« Les deux camps faisaient pousser des plants de cannabis devant leurs positions avancées. Les seigneurs de guerre encourageaient ces plantations. Ils pensaient que des types défoncés ne réfléchiraient pas trop sur la guerre, et aussi qu’ils combattraient plus vaillamment pour ne pas devoir abandonner leurs cultures. Est-ce que vous vous imaginez comment c’était ici, l’hiver, si vous n’ étiez pas bourré ou complètement défoncé ? Les petits gars combattaient, défoncés, beurrés, et à moitié morts de froid, et les grands hommes s’engraissaient sur leurs dos et sur leurs cadavres. »

Le style narratif particulier de Gerald Seymour est plutôt déstabilisant. Sans aucun interligne l’auteur prend plaisir à nous transporter d’une situation à une autre, d’un personnage à un autre, au risque d’embrouiller le lecteur le temps de s’en apercevoir. La relecture s’avère parfois nécessaire sur quelques lignes, mais on finit vite par s’y habituer et se faire moins surprendre au fil des pages.
Les retours dans le passé, clairement indiqués, nous plongent dans l’horreur de la guerre, dans la vie de deux paysans dont les propriétés voisines vont être séparées par une ligne de front et qui devront en subir les conséquences contre leur volonté. Les scènes décrites, parfois dérangeantes, témoignent une fois de plus de l’absurdité d’une guerre. Quant au présent, il nous laisse imaginer à quel point l’internationale du crime a pu s’implanter dans une région durant une guerre qui a semé le chaos.

La psychologie des personnages, qu’ils soient dans le camp des bons ou celui des mauvais, est recherchée, nous offrant des personnalités complexes, attachantes ou méprisantes.
Albert William Packer, le mafieux anglais, bien que vil et méprisable, semble touchant quand il accompagne la représentante de Haut Commissariat aux Réfugiés pour la distribution des dons de l’opération de soutien "Bosnia with love",

 Le passé va finir par rattraper le présent dans un final mémorable, jubilatoire, tellement joli et tellement cruel, un final où les rôles de dominant et dominé vont s’inverser, et qui peut très bien susciter le débat. Quelle attitude aurions-nous adoptée ? Quelle décision aurions-nous prise ?

La traque d’un mafieux à la fin de la guerre des Balkans. Une épopée excitante et captivante, et un final mémorable !


DANS SON OMBRE  -  Gerald SEYMOUR
SONATINE  -  01/2015
LIVRE DE POCHE  -  02/2016