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mardi 31 juillet 2018

TOUT CE QU'ON NE S'EST JAMAIS DIT - Celeste NG


Quatrième de couverture :

1977, Ohio. Lydia Lee, seize ans, est une élève et une fille modèle. Elle est le grand espoir de son père, d'origine chinoise, qui projette sur elle ses rêves d'intégration, et de sa mère qui espère à travers elle accomplir ses ambitions professionnelles déçues. Mais à quoi rêve Lydia en secret ? Lorsque la police découvre son corps au fond d'un lac, la famille Lee, en apparence si soudée, va affronter ses secrets les mieux gardés, car plus rien ne sera pareil. La disparition de Lydia vire soudainement à l'autopsie familiale. Connaît-on jamais vraiment ses proches ?

Mon avis :

 Avec ce premier roman, Celeste Ng s’impose d’emblée comme un auteur à suivre. Tout ce que je ne vous ai jamais dit est un thriller littéraire qui fait abstraction du moindre serial killer. Tous commence par une fille disparue, un lac, un bad boy local qui fut l’un des derniers à la voir mais ne dit pas ce qu’il sait. On est en 1977, dans une ville tranquille et entièrement américaine de l’Ohio, où tout le monde se connaît, et où rien de tel ne s’est jamais produit auparavant.

Suivre la famille Lee, c’est suivre l’histoire d’une Amérique des petites villes dans les années 60-70, suivre une histoire terrible, une histoire d’enfermement, au travers des destins des cinq personnages qui composent la famille.

Pas vraiment de suspense dans ce livre puisqu’on sait d’emblée que Lydia est morte. Tout le roman est la subtile construction du mécanisme implacable qui a conduit à cette fin. Chacun va devoir affronter ses secrets, ses espoirs déçus, ses frustrations, ses haines et sa culpabilité. Le mystère est pourquoi ils ne peuvent se parler, ou dire à la police ce qu’ils croient être derrière cette disparition.

 La frustration du père est liée à ses origines chinoises. Non seulement il a épousé une belle blonde américaine, mais il est aussi professeur d’université. Cela ne l’empêche pas d’être persuadé qu’il ne mérite pas totalement sa place et sa famille, souffrant en permanence de n’avoir aucun ami.

Dans chaque restaurant les serveuses avaient observé son père, puis sa mère, puis Lydia et Nath et Hannah, et Lydia avait su, même enfant, qu’ils ne reviendraient jamais. Depuis, il a donné des cours chaque été, comme pour éviter de soulever la question des vacances en famille.

Les enfants d’origine métisse peinent souvent à trouver leur place. « Si elle avait été blanche, si j’avais été blanc, … elle se serait intégrée. Déménager n’aurait pas suffi ; il le comprend désormais. Ça aurait été la même chose partout.

Souviens-toi juste de ce qui compte vraiment. Être sociable. Être populaire. S’intégrer. Vous n’avez pas envie de sourire ? Et alors ? Forcez-vous. Ne critiquez pas, ne condamnez pas, ne vous plaignez pas.

Maryline, la mère, s’en veut de n’être pas allée au bout de ses ambitions – devenir médecin – mais d’avoir écouté sa mère qui voyait en elle une parfaite femme au foyer qui s’occupe de la maison et prépare de bons petits plats pour son mari. Aussi reporte-t-elle sur Lydia la réalisation de ses espoirs déçus.

Dans son esprit, Marilyn déroulait l’avenir de Lydia comme un long fil doré, certaine que c’était celui que sa fille voulait également : Lydia en talons hauts et en blouse blanche, un stéthoscope autour du cou ; Lydia penchée au-dessus d’une table d’opération, un cercle d’hommes s’émerveillant de son habilité. Chaque jour, ça semblait de plus en plus possible.

Toute sa vie elle avait entendu le coeur de sa mère marteler un unique mot : médecin, médecin, médecin. Elle le désirait tellement, Lydia le savait, qu’elle n’avait plus besoin de le prononcer. Il était toujours là. Lydia ne pouvait s’imaginer un autre avenir, une autre vie. C’était comme essayer d’imaginer un autre monde où le soleil tournerait autour de la lune, ou bien où l’air n’existerait pas.


La prison d’Hannah, la cadette, c’est le grenier où elle dort, l’absence totale d’attention et d’amour de parents entièrement focalisés sur les deux aînés.

Elle n’a jamais osé s’asseoir aussi près de Nath jusqu’alors ; lui, Lydia, leur père et leur mère sont trop prompts à l’ignorer ou à la repousser. « Hannah, je suis occupé. Je suis en train de faire quelque chose. Laisse-moi tranquille. »

Ils avaient installé sa chambre dans le grenier, où l’on conservait les choses dont on ne voulait pas, et même à mesure qu’elle grandissait, chacun d’entre eux oubliait, de façon fugace, qu’elle existait.

La prison de Lydia et Nath – le frère aîné – ce sont non seulement leurs parents qui projettent sur eux leurs frustrations et leurs imposent leurs désirs refoulés, mais aussi les autres élèves pour lesquels ils sont et restent des chinois, des métis, et rien d’autre.

Un jour, elle avait déjà commencé à sentir à quel point il serait difficile d’hériter des rêves de leurs parents. A quel point leur amour serait étouffant.

Ng a structuré son livre afin que nous passions des théories de la famille Lee à la propre histoire de Lydia, et à ce qui a conduit à sa disparition et à sa mort, et nous mener vers une conclusion finale dévastatrice. On comprend les raisons des uns et des autres, comment chaque bonne intention ne fait qu’accroître l’enfer familial. La famille est finalement bourreau sans le vouloir, et victime d’une société qui a bien l’intention de faire du mal.
Une histoire bouleversante. Un roman fin et subtil.


Celeste Ng est une romancière et nouvelliste, née à Pittsburgh, Pennsylvanie, en 1980.
Originaires de Hong Kong, ses parents se sont installés aux États-Unis à la fin des années soixante. Son père, physicien, a travaillé au Glenn Research Center et sa mère, chimiste, a enseigné à l'Université d'État de Cleveland.
Celeste obtient un BA d'anglais à l'Université Harvard en 2002, puis un MFA en écriture à l'Université du Michigan.
Son premier roman, "Tout ce qu'on ne s'est jamais dit" (Everything I Never Told You, 2014) a été récompensé aux USA par le Alex Award et le Massachusetts Book Award en 2015, et en France par le Prix Relay des Voyageurs - Lecteurs 2016.
Celeste Ng vit à Cambridge, dans le Massachusetts, avec son mari et son fils. 

Source : Babelio.com


TOUT CE QU'ON NE S'EST JAMAIS DIT  -  Celeste NG
SONATINE 2016
POCKET 2017


mercredi 11 juillet 2018

LE SILENCE POUR TOUJOURS - Stuart NEVILLE


Je retrouve avec plaisir un auteur dont je suis devenu fan, Stuart Neville, dont le dernier livre sorti en 2017, Le silence pour toujours, est en fait le quatrième de la série Jack Lennon, ce flic catholique qui n’a pas hésité à exercer son métier au sein de la police à majorité protestante d’Irlande du Nord.

Étant donné les allusions aux tomes précédents et les personnages récurrents, je ne saurais trop recommander de lire cette série dans l’ordre de parution : Les Fantômes de Belfast, Collusion, Âmes volées, et Le Silence pour toujours.

Stuart Neville nous propose une fois de plus une histoire bien noire, où les règlements de compte sont encore et toujours l’héritage du passé peu glorieux que Belfast a connu.

Quand il était jeune, il n’y voyait guère plus qu’une grosse agglomération, avec ses usines mortes ou moribondes, ses citoyens dressés les uns contre les autres au milieu de ruines. Des gens si pleins de haine qu’ils ne comprenaient pas que leur véritable ennemi était la pauvreté contre laquelle ils auraient dû s’unir. Au lieu de quoi, ils se retranchaient dans des mondes où Eux s’opposaient à Nous, ils élevaient des barricades, et laissaient le sang couler.

On retrouve Jack Lennon, flic toujours sur pied, mais boitant bas, accro aux analgésiques, en congé de maladie et risquant la suspension suite à une fusillade avec un autre officier qui tentait de l’assassiner (Âmes volées). Heureusement pour lui, son nouveau superviseur, la DCI Serena Flanagan, semble être complètement honnête et exempte de tout lien passé douteux, ce qui s’avère exceptionnel dans le monde de Lennon. Toutefois elle se méfie beaucoup de lui, étant donné ses états de service et les accusations dont il fait l’objet.

Ainsi, Jack n’est pas en pleine forme quand il est contacté par une ex, Rea Carlisle. Elle vient de découvrir dans la maison d’un oncle décédé un album atroce relatant des assassinats dont l’oncle a été complice au fil des années. Le propre père de Rea, un éminent politicien unioniste, membre de l’Assemblée d’Irlande du Nord, apparaît aussi sur une photo, ce qui devient un élément particulièrement compromettant pour la suite de sa carrière. Le temps qu’un Jack sceptique vienne la voir, l’album a été volé. Peu après sa visite, Rea est sauvagement assassinée, et Jack est le dernier à avoir été vu entrant chez elle.

Dans ce quatrième tome, Stuart Neville place enfin Jack Lennon comme personnage principal de l’intrigue. Jack va de plus en plus mal et n’arrive plus à concilier son boulot de flic et sa vie personnelle dont la garde de sa fille fait partie. Chaque jour qui vient lui apporte de nouveaux lots d’emmerdes, toutes plus graves les unes que les autres. Mais cela ne freine pas son obstination. Lennon veut absolument comprendre ce qui est arrivé à Rea et au livre avant qu’il ne perde non seulement son travail, mais aussi sa liberté et sa fille.

Neville a cette capacité de pouvoir attirer le lecteur dès la toute première page et l’accrocher davantage au fil des chapitres. Personnes sensibles s’abstenir. Neville n’a pas peur de la violence, des personnages corrompus, ni des développements controversés de l’intrigue. Tout cela rend ses histoires plus réalistes et passionnantes.

Jack Lennon apparaît comme un héros particulièrement humain, tant les actions qu’il entreprend et les décisions qu’il prend sont imparfaites, et pourtant si humaines. Sa relation et son amour évident pour sa fille Ellen peuvent être la seule chose pure qui soit dans son existence.
La même chose peut être dite pour la plupart des personnages de cette série. Ils sont tous humains et reconnaissables à cause de leurs défauts, de leurs préjugés et de leurs erreurs autant que de leurs traits les plus admirables. Leur santé, leurs antécédents, leur statut social influencent leur fonctionnement. En conséquence, le livre a beaucoup plus de profondeur qu’un thriller moyen.

Bref, c’est un livre pour tous ceux qui aiment une histoire en profondeur, passionnante, bien écrite par un auteur qui tisse de la magie avec ses mots.





LE SILENCE POUR TOUJOURS  -  Stuart NEVILLE
Editions PAYOT & RIVAGES  -  2017
Format poche : Editions RIVAGES  -  Collection RIVAGES/NOIR  -  14/02/2018