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jeudi 28 septembre 2017

RÉVEILLER LES LIONS - Ayelet GUNDAR-GOSHEN

Ethan Green a de quoi être comblé : une femme merveilleuse, deux enfants adorables, et un métier gratifiant, neurochirurgien à l’hôpital Soroka de Beer-Sheva, une ville du sud d’Israël en bordure du désert.
Une nuit, après avoir rendu son tablier à deux heures du matin et assuré une astreinte de dix-neuf heures à l’hôpital, au lieu de rentrer dormir chez lui, Ethan a cette envie de sensations grisantes, tester les limites de son 4x4 sur les chemins désertiques, en ressentir la puissance au son de la musique tonitruante de Janis Joplin.

Comment aurait-il pu imaginer que quelqu’un marcherait au bord de la route à cette heure ? Une situation plus qu’improbable. Se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Le choc est à peine perceptible. C’est un Erythréen. Il est agonisant, pouls faible, perte de sang et de liquide céphalo-rachidien par le nez et les oreilles. Peu de chance de pouvoir le sauver. Ethan imagine les répercussions de cet accident sur la poursuite de sa carrière. Il prend la fuite.

Comment annoncer la nouvelle à sa femme ? Être marié à une lieutenant de police doit bien servir à quelque chose. Il se tait, d’autant que sa femme a été appelée ultérieurement sur les lieux de l’accident et ne ressent que méprise vis-à-vis du fuyard. Se taire et sauver la face.

Un jour, il ouvre sa porte à une femme. Elle est grande, mince et très belle, mais Ethan ne remarque aucune de ces qualités, focalisé qu’il est sur deux autres éléments : elle est noire et, dans sa main, il y a un portefeuille qu’il connaît bien puisque c’est le sien. Elle s’appelle Sirkitt. Elle est Erythréenne. Assoum était son mari. Elle a tout vu.

Pour éviter l’opprobre, Ethan garde le silence et accepte le chantage de Sirkitt : lui faire don de ses nuits pour soigner des réfugiés dans un hangar désaffecté. Ethan ne se doute absolument pas qu’il s’apprête à mettre le pied dans un engrenage qui risque non seulement de mettre à mal sa vie de famille, mais aussi sa vie tout simplement.

Ayelet Gundar-Goshen est écrivain, scénariste et psychologue israélienne. Dans son roman Réveiller les lions, elle n’évoque pas le conflit israélo-palestinien, mais un drame que l’Europe ne semble pas être la seule à connaître, l’immigration. En Israël aussi, des milliers de clandestins venus de la corne de l’Afrique attendent des lendemains meilleurs. Le problème avec les réfugiés est qu’ils sont vus comme une menace économique, et pas vraiment en tant que personnes qui fuient pour leur survie. Tous ces réfugiés qu’Ethan va être amené à rencontrer et à soigner nous touchent profondément. Dans sa façon d’en parler, l’auteur finit par nous émouvoir, nous transmettre son empathie à leur égard et nous fait comprendre qu’il n’y a pas de différence culturelle dans la souffrance humaine. L’engagement d’Ethan Green va non seulement lui faire découvrir un univers dont il ignorait l’existence, prendre conscience du sort de ceux qu’il trouve, mais aussi, petit à petit, l’amener vers un sentiment de pardon, pour tous ces faux pas qu’il a commis et qui sont pourtant contraires à sa morale : tuer un homme, mentir à sa femme, délaisser ses enfants, négliger son travail à l’hôpital, voler des médicaments, …

Cependant, une majorité de scènes restent concentrées sur un dilemme domestique, sur la relation détériorée d’Ethan avec sa femme et son rapport émergent avec Sirkitt, l’Erythréenne.
Le portrait fait de ces deux personnages féminins est remarquable. Telles deux lionnes, elles se battent avec leurs armes et n’hésitent pas à partir en chasse, l’une le jour et l’autre la nuit, pour assurer leur survie et celle des leurs.

D’autres personnages apparaissent soudainement plus tard dans le roman, notamment un jeune garçon bédouin et un trafiquant de drogue frustré. Il s’avère que l’accident d’Ethan a intercepté accidentellement un réseau criminel responsable de violences, viols et meurtres. Ainsi, les événements du dernier tiers du livre ressemblent plus à ceux d’un thriller policier, conférant ainsi au roman un nouveau rythme plus stimulant.

La lecture de ce livre est certainement l’occasion de se questionner sur maints sujets : l’accueil des réfugiés, le déni, l’acceptation et le rachat des fautes, le pardon, la vengeance.
Combinaison intéressante entre un roman à suspense et un conte moral.

"Emigrer, c'est passer d'un endroit à un autre, avec, attaché à ta cheville comme un boulet d'acier, le lieu que tu as quitté. Voilà pourquoi il est si difficile d'émigrer: marcher à travers le monde en ayant les pieds entravés par un pays tout entier, c'est quelque chose qu'il faut être capable de supporter."

"Les gens qui ont peur ne regardent jamais droit dans les yeux. Ils craignent trop de s'attirer reproches et punitions. Les gens qui ont peur baissent les yeux, clignent des paupières, n'osent pas saisir du regard le visage d'un autre. C'est ainsi dans les camps des Bédouins. Ils gardent les yeux baissés vers la terre aride du Sinaï. Jamais ils n'arborent ce regard franc qui affirme : J'existe."


RÉVEILLER LES LIONS  -  Ayelet GUNDAR-GOSHEN
LES PRESSES DE LA CITE  -  07/09/2017 

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