Ethan Green a de
quoi être comblé : une femme merveilleuse, deux enfants
adorables, et un métier gratifiant, neurochirurgien à l’hôpital
Soroka de Beer-Sheva, une ville du sud d’Israël en bordure du
désert.
Une nuit, après
avoir rendu son tablier à deux heures du matin et assuré une
astreinte de dix-neuf heures à l’hôpital, au lieu de rentrer
dormir chez lui, Ethan a cette envie de sensations grisantes, tester
les limites de son 4x4 sur les chemins désertiques, en ressentir la
puissance au son de la musique tonitruante de Janis Joplin.
Comment aurait-il pu
imaginer que quelqu’un marcherait au bord de la route à cette
heure ? Une situation plus qu’improbable. Se trouver au
mauvais endroit, au mauvais moment. Le choc est à peine perceptible.
C’est un Erythréen. Il est agonisant, pouls faible, perte de sang
et de liquide céphalo-rachidien par le nez et les oreilles. Peu de
chance de pouvoir le sauver. Ethan imagine les répercussions de cet
accident sur la poursuite de sa carrière. Il prend la fuite.
Comment annoncer la
nouvelle à sa femme ? Être marié à une lieutenant de police
doit bien servir à quelque chose. Il se tait, d’autant que sa
femme a été appelée ultérieurement sur les lieux de l’accident
et ne ressent que méprise vis-à-vis du fuyard. Se taire et sauver
la face.
Un jour, il ouvre sa
porte à une femme. Elle est grande, mince et très belle, mais Ethan
ne remarque aucune de ces qualités, focalisé qu’il est sur deux
autres éléments : elle est noire et, dans sa main, il y a un
portefeuille qu’il connaît bien puisque c’est le sien. Elle
s’appelle Sirkitt. Elle est Erythréenne. Assoum était son mari.
Elle a tout vu.
Pour éviter
l’opprobre, Ethan garde le silence et accepte le chantage de
Sirkitt : lui faire don de ses nuits pour soigner des réfugiés
dans un hangar désaffecté. Ethan ne se doute absolument pas qu’il
s’apprête à mettre le pied dans un engrenage qui risque non
seulement de mettre à mal sa vie de famille, mais aussi sa vie tout
simplement.
Ayelet Gundar-Goshen
est écrivain, scénariste et psychologue israélienne. Dans son
roman Réveiller les lions, elle n’évoque pas le conflit
israélo-palestinien, mais un drame que l’Europe ne semble pas être
la seule à connaître, l’immigration. En Israël aussi, des
milliers de clandestins venus de la corne de l’Afrique attendent
des lendemains meilleurs. Le problème avec les réfugiés est qu’ils
sont vus comme une menace économique, et pas vraiment en tant que
personnes qui fuient pour leur survie. Tous ces réfugiés qu’Ethan
va être amené à rencontrer et à soigner nous touchent
profondément. Dans sa façon d’en parler, l’auteur finit par
nous émouvoir, nous transmettre son empathie à leur égard et nous
fait comprendre qu’il n’y a pas de différence culturelle dans la
souffrance humaine. L’engagement d’Ethan Green va non seulement
lui faire découvrir un univers dont il ignorait l’existence,
prendre conscience du sort de ceux qu’il trouve, mais aussi, petit
à petit, l’amener vers un sentiment de pardon, pour tous ces faux
pas qu’il a commis et qui sont pourtant contraires à sa morale :
tuer un homme, mentir à sa femme, délaisser ses enfants, négliger
son travail à l’hôpital, voler des médicaments, …
Cependant, une
majorité de scènes restent concentrées sur un dilemme domestique,
sur la relation détériorée d’Ethan avec sa femme et son rapport
émergent avec Sirkitt, l’Erythréenne.
Le portrait fait de
ces deux personnages féminins est remarquable. Telles deux lionnes,
elles se battent avec leurs armes et n’hésitent pas à partir en
chasse, l’une le jour et l’autre la nuit, pour assurer leur
survie et celle des leurs.
D’autres
personnages apparaissent soudainement plus tard dans le roman,
notamment un jeune garçon bédouin et un trafiquant de drogue
frustré. Il s’avère que l’accident d’Ethan a intercepté
accidentellement un réseau criminel responsable de violences, viols
et meurtres. Ainsi, les événements du dernier tiers du livre
ressemblent plus à ceux d’un thriller policier, conférant ainsi
au roman un nouveau rythme plus stimulant.
La lecture de ce
livre est certainement l’occasion de se questionner sur maints
sujets : l’accueil des réfugiés, le déni, l’acceptation
et le rachat des fautes, le pardon, la vengeance.
Combinaison
intéressante entre un roman à suspense et un conte moral.
"Emigrer, c'est passer d'un endroit à un autre, avec, attaché à ta cheville comme un boulet d'acier, le lieu que tu as quitté. Voilà pourquoi il est si difficile d'émigrer: marcher à travers le monde en ayant les pieds entravés par un pays tout entier, c'est quelque chose qu'il faut être capable de supporter."
"Les gens qui ont peur ne regardent jamais droit dans les yeux. Ils craignent trop de s'attirer reproches et punitions. Les gens qui ont peur baissent les yeux, clignent des paupières, n'osent pas saisir du regard le visage d'un autre. C'est ainsi dans les camps des Bédouins. Ils gardent les yeux baissés vers la terre aride du Sinaï. Jamais ils n'arborent ce regard franc qui affirme : J'existe."
RÉVEILLER LES LIONS - Ayelet GUNDAR-GOSHEN
LES PRESSES DE LA CITE - 07/09/2017
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