Pour son premier
bouquin, Stéphane Jolibert n’a pas fait dans la dentelle. Du noir
de chez noir, non dilué s’il vous plaît ! Et d’une telle
qualité qu’on n’hésite pas à en redemander !
L’action se passe
dans un bled isolé du grand nord, un endroit volontairement non
localisé que chacun peut imaginer à sa façon, une bourgade
recouverte de neige les trois-quarts du temps, un ancien territoire
d’où les loups ont été chassés, et qui maintenant est occupé
par une poignée d’hommes, persona non grata de l’autre côté de
la frontière. Il fut appelé Terminus car il l’avait été en un
temps plus éloigné où hommes et machines avaient trouvé dans ces
contrées reculées plus obstinée qu’eux, plus implacable :
la météo. Le Terminus est un trois-en-un : hôtel, bistrot,
bordel, où les clients de passage s’enivrent de luxure, d’alcool,
et d’un peu de sommeil. Tous ces mâles gonflés à la testostérone
s’y comportent comme des loups, des loups qui apprennent vite à
respecter des principes simples, limpides : à l’extérieur
des murs du terminus, chacun est libre d’aller et de venir comme il
l’entend, de trucider son prochain, de dérouiller sa femme et ses
gosses, de torturer ses bêtes, ses proches, ou de commettre tout
autre exploit dénué de morale ou de logique. Dehors, chacun fait ce
qu’il veut. Mais dedans on se plie aux règles, et l’une d’elles
édicte qu’au Terminus, aux putes on n’y touche pas, pas
autrement qu’avec respect, à défaut de tendresse.
Les ordres émanent
du propriétaire – que personne ne connaît – via un téléphone
mural. Sur place le contremaître veille à leur application, tandis
que le garde-putes intervient si besoin pour rappeler les règles.
Avec un style alerte
et inventif, Stéphane Jolibert nous immerge dans une atmosphère
obsédante. La description des paysages enneigés, la singularité
des lieux comme ce bordel du bout du monde ou la distillerie
clandestine du vieux Tom, sans oublier les particularités des
différents personnages, tout confère à créer un climat envoûtant,
que l’on peine à quitter.
Chaque personnage a
sa raison de se trouver là : pour fuir ou pour rechercher . Les
informations communiquées habilement nous tiennent en haleine et
nous réservent bien des surprises.
Dans cette sombre
histoire de vengeance, l’auteur veille toutefois à alléger cette
oppressante tension montante par quelques scènes plus tendres ou
plus intimes, ou d’autres parfois burlesques à l’image de
certains personnages.
On a même droit à
un peu de psychologie canine, si tant est qu’un chien peut en
avoir, chez Mademoiselle, un bouledogue mâle qui n’a aucune raison
de se trouver dans ces contrées car on sait bien qu’un bouledogue
et la neige font deux, et aucune raison de s’appeler ainsi sauf
qu’il a été baptisé avant de s’apercevoir qu’il s’agissait
d’un mâle et qu’il s’en accommode fort bien.
La psychologie des
personnages est suffisamment développée pour les rendre
charismatiques malgré la violence dont certains font preuve. Le
vieux Tom, sa nièce Sarah, Natsume, Leïla la pute au grand coeur,
Twigs la levrette, … sont autant de personnages attachants qui nous
font aimer ce livre.
Un page turner très
noir avec un style imagé et une intrigue bien construite.
L'équilibre de la meute est fragile, et si l'un des individus qui la composent enfreint les règles, il met en péril la survie de tous. Si un chien venait à s'y introduire, un seul, se faisant passer pour un loup, et qu'il fasse ce que sait faire un chien, dormir sans chasser, manger sans partager, vivre pour lui seul et prendre la part des autres,la meute serait à ce point affaiblie qu'elle serait dans l'incapacité de se reproduire et l'espèce disparaîtrait.
L'une des leçons qu'avait apprises Nats était que causer ne servait à rien si ce n'était à prendre des risques inutiles avant de cogner un type, voire deux. Laisser du temps à la parole consistait à laisser du temps à la réflexion, soit pour simplifier : consistait à ce que l'autre se souvienne que lui aussi savait tabasser son prochain.
La seule façon d'aider son prochain était de lui permettre de subsister pour entreprendre, non de lui offrir sa pitance.
Stéphane Jolibert a grandi au Sénégal et a étudié à l’École des Beaux-Arts de Saint-Étienne (1992-1997) avant de bourlinguer de longues années du côté du Pacifique Sud où il exerça le métier de directeur artistique.
Il s’établit à Paris à la fin des années 2000. Après avoir été Directeur de Création de longues années en Agences de Communication, Stéphane Jolibert se consacre aujourd’hui à la formation et à l’enseignement de la Communication Visuelle.
Parallèlement, il publie des romans et écrit des scénarios pour le cinéma. Son premier roman, "Dedans ce sont des loups" (2016), coup de cœur de nombreux libraires, a reçu le Prix des lecteurs des bibliothèques et des médiathèques de Grand Cognac.
Il vit, écrit et travaille aujourd’hui quelque part près de la Belgique.
Source : http://www.editions-jclattes.fr/stephane-jolibert
DEDANS CE SONT DES LOUPS - Stéphane JOLIBERT
EDITION LE MASQUE - 06 janvier 2016
LIVRE DE POCHE - 22 février 2017
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