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dimanche 5 août 2018

LA PRUNELLE DE SES YEUX - Ingrid DESJOURS


Il est aveugle. Elle est ses yeux. Elle pense le guider vers la lumière. Il va l'entraîner dans ses ténèbres. 
Gabriel a tout perdu en une nuit. Son fils de dix-sept ans, sauvagement assassiné. Ses yeux. Sa vie... Les années ont passé et il n'a pas renoncé à faire la lumière sur la mort de son enfant. Quand un nouvel élément le met enfin sur la piste du meurtrier, c'est une évidence : il fera justice lui-même. Il recrute alors Maya, une jeune femme solitaire et mélancolique, sans lui avouer ses véritables intentions...



Ingrid Desjours signe avec La prunelle de ses yeux un excellent thriller psychologique comme je les aime. Les personnages sont à la fois machiavéliques et paumés, et la partie thriller aborde un contexte médical que je ne connaissait pas et qui, à lui seul, contribue au suspense de l’intrigue. Il s’agit de la cécité de conversion, une maladie sans aucune anomalie physiologique, mais liée à un profond traumatisme psychologique, se traduisant néanmoins par une perte de la vue qui peut être totale.
C’est le cas de Gabriel devenu aveugle suite à l’assassinat de son fils de 17 ans. Bien qu’il ait réussi à développer d’autres moyens de perception, on se demande par moment si sa cécité est bien réelle, tant ses déductions et ses agissements liés aux perceptions de l’environnement sont étonnantes. Sachant que cette cécité peut être réversible, on s’attend aussi par moment à une diminution de sa cécité et un retour à une vue normale.

L’auteur signe un roman véritablement abouti. Avec dextérité, elle l’ancre dans la réalité quand il est question d’élitisme et des grandes écoles, d’intolérance et de pouvoir politique. Non sans un certain brio, elle essaime d’autres thèmes, les relations père-fils, l’homosexualité, le bizutage, la soumission à travers l’expérience de Milgram, la résignation acquise via l’expérience d’Overmier & Seligman, Seligman & Maier.

Mais cela dit, je donne l’impression d’un fourre-tout. Il n’en est rien. Bien au contraire. Ce roman noir, est d’une rare fluidité. Le lecteur navigue dans un va et vient incessant entre 2003 et 2016. Deux époques mais aussi, un double suspense. La narration amène une analyse fine et intelligente des situations. Elle construit l’intrigue dans un rythme parfait. Tout devient passionnant. Il y a le meilleur de l’homme et le pire, l’amour et la haine. Le lecteur est au début de chacune des parties de ce roman, éclairé par de courts textes relatant des expériences menées dans les années 60. Ces liens qui n’ont rien d’innocent. Ils renforcent ce que vivent les personnages principaux. Justement, parlons de ces personnages. Ils sont forts et torturés. Leurs sentiments sont justes. Gabriel, son deuil et sa culpabilité, Maya et ses dépendances, à l’alcool et à Tancrède Sinclair, l’archétype du facho détestable. Et Victor, personnage central, forgé dans ses doutes et ses envies, si présent et décédé.

L’intrigue est délicate et brutale. Chacun manipule l’autre dans un voyage où tous se verront dépouillés de leurs artifices, de leurs mensonges et leurs non-dits. Dans cette recherche de la vérité où les traumas doivent être mis à nu, Ingrid Desjours joue sur les certitudes et les doutes. Chercher la vérité peut-être un révélateur de ce que nous sommes. Voir cette vérité en face, y faire face, c’est aussi affronter son propre regard sur soi.

Une histoire aussi noire que touchante.



Auteur française née en 1976. Ingrid Desjours est psychocriminologue spécialisée en sexo-criminologie. Après avoir pratiqué en Belgique auprès de criminels sexuels, elle anime aujourd’hui des conférences sur la psycho-criminologie et la criminalité d’entreprise. Elle se consacre entièrement à l’écriture de romans et de scénarios pour des séries télévisées.


LA PRUNELLE DE SES YEUX  -  Ingrid DESJOURS
Editions Robert Laffont – La Bête Noire – 2016
Pocket – 10/2017




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