Joude Jassouma est
syrien. Comme des milliers de ses compatriotes, il a choisi le chemin
de l’exil vers l’Europe. Professeur de français, il écrit un
livre, Je viens d’Alep, pour raconter son périple et incarner ce
mouvement massif habituellement décrit en termes généraux,
impersonnels.
Son histoire
personnelle se confond d’abord avec celle de la Syrie : une
enfance heureuse mais pauvre sous l’ère très militaire d’
Hafez-al-Hassad, le père de Bachar-al-Hassad.
Joude s’intéresse
très peu à la politique et préfère les études, la littérature
française, mais la guerre le rattrape. Dès 2011 la révolution se
mue en guerre civile. Régime d’un côté, rebelles de l’autre.
Quatre fois de suite ils abandonnent leurs biens pour fuir les
bombardements. Mais Joude aime sa ville, Alep, où il veut rester en
compagnie de sa femme Awa, jusqu’à ce jour de 2015 où la terreur
et la barbarie humaine le pousse à partir.
Pareillement à
d’autres témoignages de ce drame, on ne peut que constater
l’importance des racines pour chaque individu. Quitter son pays
pour fuir une guerre, une dictature, … est une décision difficile
à prendre. Joude Jassouma aimerait regagner son pays pour le
reconstruire quand la paix sera revenue, mais doute beaucoup que cela
puisse arriver dans un proche avenir. Il nous transmet des clichés
nous permettant d’imaginer que la Syrie était un beau pays, Alep
une ville merveilleuse où il faisait bon vivre, loin des images de
destructions et de ruines que nous avons maintenant pris l’habitude
de voir.
« Je me souviendrai longtemps de l’éblouissement qui a été le mien en traversant la ville, ce jour-là. Alep, ma ville, que je ne connaissais que de loin, depuis les hauteurs de mon quartier. A travers les fenêtres du bus, je découvrais ces immenses avenues, très larges, bordées de pins, d’eucalyptus, de cyprès ou d’acacias, ces parcs ombragés et ces monuments vieux de plusieurs siècles. En longeant les remparts de la citadelle, m’apparaissaient les maisons de la vieille ville qui remontent au XIIe siècle. Je pouvais enfin approcher l’immense minaret de la Grande Mosquée que jusqu’alors je n’avais fait qu’apercevoir depuis le toit de notre maison, un minaret du Xe siècle, aujourd’hui détruit. Je découvrais les cathédrales arménienne catholique, grecque orthodoxe, détruites elles aussi. Oui, je découvrais ma ville dans toute sa splendeur. Ma ville, aujourd’hui en ruine. »
Son témoignage est
en quelque sorte un livre de bord où il parle des horreurs qu’ils
ont vécues, des difficultés et des épreuves qu’ils ont dû
surmonter, sa femme, sa fille, et lui, sur le chemin de l’exil,
mais aussi des rencontres et des moments chaleureux qui les ont
amenés dans ce village de Bretagne. Il se veut le porte-parole des
réfugiés, et face à cette islamophobie qui a suivi les attentats
français (et d’autres pays européens), il veut nous rassurer et
nous faire comprendre qu’il souhaite seulement vivre dans un monde
en paix, un monde où il peut travailler, nourrir sa famille,
s’intégrer, et finir par ne plus être considéré comme un
réfugié.
Sur le trottoir, un grand chien efflanqué, galeux, au poil ras marron foncé, serre quelque chose dans sa gueule. Contrairement à ce que j'ai d'abord cru, ce n'est pas un rat, on dirait plutôt une sorte d'animal à poils longs que le chien ne lâche pas et secoue dans tous les sens.
Mais les poils sont des cheveux et l'animal est une tête. Une tête humaine !
"Ya Allah ! Oh Mon Dieu !" je hurle.
Le chien finit par lâcher la tête, les cheveux s'étalent sur le trottoir, le cou ruisselle de sang.
Terrifié, je détourne le regard. Je ferme les yeux, j'attends un moment avant de les rouvrir lentement. Est-ce que j'ai rêvé ?
Joude
Jassouma, né en 1983, est originaire d'Alep. En 2016, après un long
périple, il est accueilli à Martigné-Ferchaud, un village de
Bretagne. Il est l'un des 10.000 Syriens arrivés en en France sur
les quatre millions jetés sur les routes de la guerre. Dans "Je
viens d'Alep", livre témoignage écrit en collaboration avec
Laurence de Cambronne et paru chez Allary Editions, il raconte son
itinéraire de réfugié ordinaire.
JE VIENS D'ALEP - Joude JASSOUMA
Allary Editions - 16/03/2017
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire